Les yeux sans visage (Georges Franju)

lundi 28 février 2011
Réalisateur : Georges Franju
Année de sortie : 1960
Genre : horreur, drame, fantastique


Pourquoi ce film? Il passait au cinéma dans le cadre du festival Offscreen et le synopsis m'a intrigué.

Résumé : Le docteur Génessier est un génie de la chirurgie esthétique. En sus de ses talents de praticien, il aurait découvert un moyen de greffer des tissus entre spécimens d'une même espèce au génome différent (la greffe ultime, en quelque sorte). Il espère utiliser cette technique pour rendre un visage à sa fille, défigurée dans un accident de voiture. Mais pour cela, il a besoin de récupérer le visage d'une innocente jeune fille...

Mon avis : C'est un peu par hasard que je suis allé voir ce film, dont je n'avais jamais entendu parler avant. Et finalement grand bien m'a prit, puisque j'ai beaucoup aimé. Pourtant les films d'horreur c'est pas mon dada, en général ça m'ennuie rapidement. Mais celui-ci est emprunt d'une poésie touchante, et en même temps d'une ambiance pesante et dérangeante qui nous scotche à l'écran du début à la fin. On comprend très vite ce qui se trame, et comment tout cela va se terminer : pas de surprise à ce niveau là. Pourtant, j'ai été fasciné par cette figure énigmatique de la jeune fille au masque et par ses tourments.


Là où le film touche juste, c'est dans le côté suggestif de l'horreur. On ne voit jamais la défiguration qui est pourtant au centre de l'histoire. Les plans montrent toujours la fille du docteur de dos, ou portant son masque. La formule est bien connue : moins on en montre, plus l'imagination prend le relais. Mais c'est comme une bonne recette de cuisine : tout est dans le dosage, et Franju nous offre ici un met délicat et délicieux.


L’ambivalence des deux personnages centraux les rend fascinants. La fille du docteur est tourmentée et profondément traumatisée par son accident. Elle ne supporte plus de devoir porter son masque, et pourtant le moindre reflet de son visage la plonge dans l'horreur. Raison pour laquelle, d’ailleurs, le docteur a fait couvrir tous les miroirs de la maison d'un voile noir. On se demande jusqu'à la fin du film si elle cautionne vraiment les horreurs que commet son père pour lui rendre un visage. Quand au docteur Génessier, c'est un personnage énigmatique. Il est d'une intelligence remarquable, mais apparaît froid et dépourvu de tout sentiment de compassion. A travers le film, on se demande quelle est sa motivation réelle : donner un nouveau visage à sa fille, ou prouver au monde que sa théorie fonctionne et qu'il est effectivement le plus grand chirurgien au monde, si nécessaire en utilisant sa propre fille comme cobaye.



Verdict : Un vrai chef d'oeuvre et un classique du film d'horreur, injustement méconnu. Malgré un pitch assez convenu et sans grande surprise, il nous happe du début à la fin dans un mélange de répulsion et de fascination (et au fond, n'est ce pas là le propre de l'horreur, la vraie?).

Ma note : 8 skalpels / 10

Coup de coeur

Achetez! Vendez! Achetez! : le manuel du parfait petit boursicoteur

mercredi 23 février 2011
source

Haha! Je vous ai piégé par ce titre intriguant et néanmoins trompeur.  Car ce n'est pas d'un livre dont je vais vous parler, mais d'un jeu vidéo. Un jeu flash en plus, avec des graphismes tout pourris. On est tombés bien bas, etc. C'est dans la langue de Shakespeare Warren Buffett mais il y a peu de texte, que les francophones indécrottables soient rassurés. Bon, je vous laisse découvrir American Dream, c'est très court (10-15 minutes à tout casser) et ça se passe d'introduction (edit : je précise aux nombreux idiots qui me lisent que le bouton d'action est "z", je répète : "z").

Votre but dans la vie.

Mais peut-être pas de commentaires. Moi ça m'a fait penser à American Psycho. L'amassage complètement inutile de billets verts par grosses liasses, la déconnexion totale avec la réalité (on mise sur des noms-slogans sans réelle signification), la superficialité de l'aménagement intérieur, le côté ludique de l'ensemble qui s'apparente à une course sans but significatif (et au fond à une attitude quasi-psychotique). D'ailleurs Terry Cavanagh, l'un des quatre co-créateurs, explique sur son blog qu'au départ le jeu devait être à propos d'un assassin qui dépense tout son argent en meubles design, et se serait appelé "Killing Spree".


Et comme on est dans le rêve américain, on ne risque même pas de se faire coffrer pour délit d'initié, ni d'attraper le SIDA lors des partouzes régulières! Alors, elle est pas belle la vie?




Ils en parlent également : Rock, Paper, Shotgun


La Route - Cormac McCarthy

lundi 21 février 2011
Roman publié originellement en 2006, ici l'édition  française chez Points de 2009

Bon, comme d'hab' j'arrive après la bataille, puisque ça fait quand même près de 2 ans que la traduction française de ce livre a été publiée. Qu'à cela ne tienne, j'avais envie de le lire donc j'ai apprêté une expédition pour le retrouver dans ma PàL :


Heureusement et comme on n'est pas au Chili ça s'est bien terminé, je vous rassure. Trêve de bavardages, rentrons dans le vif du sujet.

Ce qui m'a le plus frappé dans ce livre, c'est sa simplicité. Je suis un garçon un peu naïf voyez-vous, et quand on me met un Pulitzer dans les mains je m'attends à un truc circonvolu et complexe, en tous cas pas à une lecture facile. Or non seulement ça se lit sans difficulté, mais cette simplicité s'étend à d'autres dimensions du roman.

La trame narrative tout d'abord. Le coeur de l'histoire, c'est cette relation touchante entre un père et son fils. Tout le reste ne sert à mes yeux qu'à mettre celle-ci en valeur. On n'aura par exemple droit à nulle explication d'aucune sorte sur la nature du cataclysme qui a ravagé la terre, ni sur l'endroit où se trouvent les personnages (même si on peut supposer qu'il s'agit de quelque part aux Etats-Unis). Là n'est pas le propos, et ne ferait que nous détourner de l'essentiel.

Le style est lui aussi très épuré : froid, mécanique, descriptif. Idem pour la structure narrative ; l'absence de chapitres ou de tout autre coupure dans le récit reflète le quotidien des personnages : les jours se suivent et se ressemblent, gris et monotones, la seule différence d'aujourd'hui par rapport à hier est qu'on est un peu plus fatigué, et qu'on a un peu plus faim.

Candeur des dialogues enfin (l'extrait ci-dessus en est un bon exemple). Les deux personnages parlent très peu, ce qui renforce encore la pesanteur de l'atmosphère. Et quand le père s'adresse au fils, c'est avec les mots simples qu'on utilise pour communiquer avec un enfant, en essayant tant bien que mal de lui cacher les horreurs de la vie, même si au final on sait bien que cela est vain.

Tous ces éléments font qu'au début on s’ennuie un petit peu, on est dans l'attente, on se demande si les choses vont s'accélérer. Mais très rapidement on s'habitue au rythme de l'histoire, et on se retrouve plongé dans le quotidien des deux personnages. On s'attache progressivement à ces deux âmes en peine et on se surprend à espérer qu'ils s'en sortent, d'une façon ou d'une autre, alors que l'issue du voyage ne fait pourtant aucun doute.

Je laisse les interprétations sur le sens de l'histoire (métaphore biblique? parallèle avec l'inéluctabilité de la mort?) aux spécialistes. Pour ma part, j'ai prit celle-ci au premier degré, sans chercher l'intention de l'auteur derrière. La Route est pour moi avant tout un roman qui se ressent, plus qu'il ne se pense. Alternativement touchant et glaçant (souvent les deux à la fois), La Route est de ces romans qui vous hantent longtemps après en avoir terminé la lecture.

Mon seul regret aura été d'avoir attendu de voir le film pour lire le livre. Bien qu'il en soit une très bonne adaptation, j'aime bien partir "de zéro" quand je lis un livre, en imaginant les scènes par moi-même et en m'interrogeant sur l'issue du récit.


Coup de coeur


Lu dans le cadre du challenge Fins du Monde

CITRIQ

Ils en parlent également : Daylon et Ubik (Le Cafard Cosmique), Fabrice Colin (Fluctuanet), Nébal, Cachou

The City & The City - China Miéville

mardi 15 février 2011
Roman publié en 2009 chez Macmillan


China Mieville est un auteur que j'apprécie beaucoup. A la fois pour son oeuvre (je n'ai pour l'instant lu que The Scar mais je compte bien corriger ça au plus vite), mais aussi pour ses efforts visant à "désenclaver" la fantasy de l'héritage tolkienien dans lequel elle s'est enfermée depuis une cinquantaine d'années. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre Tolkien (même si j'avoue volontiers que LSdA n'est pas mon livre préféré), et je lui reconnais tout à fait le rôle de pionnier qu'il a pu exercer en son temps. Seulement j'ai parfois un peu l'impression que la fantasy est le parent pauvre des "littératures de l'imaginaire" du point de vue de l'exploration des possibilités et des limites du genre (parce que commercialement évidemment c'est une autre histoire, et on a là un début d'explication). Bref. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, j'y reviendrai peut-être à l'occasion d'un autre billet.

Surtout que The City & The City, ça n'est pas vraiment de la fantasy (ou alors de la fantasy urbaine). Mieville s'essaie ici à un nouveau genre, le policier fantastique. Pour autant, on retrouve de nombreux éléments chers à l'auteur, avec évidemment en premier lieu sa fascination pour la ville, qui est le véritable personnage principal de cette histoire. Ou plutôt, qui sont. Parce que la ville en question est double. Ou les deux sont une, on ne sait pas très bien. Besźel et Ul Qoma, puisque c'est leur noms, se situent géographiquement au même endroit (quelque part en Europe de l'Est, on n'aura pas droit à plus de précisions), mais pour leurs habitants, il s'agit bien de villes différentes. Plus qu'une simple hallucination collective, elles semblent co-exister sur différents plans de réalité. L'astuce est que ceux-ci sont perméables, autrement dit il est possible pour un habitant d'une de deux villes d'observer, voire d’interagir avec des éléments de l'autre cité. Sauf qu'un tel comportement ("brêcher", to breach en VO) est interdit par la loi et contrôlé sans merci par une mystérieuse organisation nommée Breach, sans trop que l'on sache pourquoi. On peut supposer que l'existence même de ces deux villes repose sur les perceptions différenciées de leurs habitants respectifs, sans quoi elles rejoindraient le même plan de réalité et s'écraseraient l'une sur l'autre.

Ca vous semble confus? Ca l'est au début, surpris et fasciné que l'on est par la myriade d'implications et de possibilités ouvertes par ce prémisse. D'autant que la chose n'est pas clairement expliquée au début, mais révélée petit à petit, par touches subtiles. Le talent de Mieville est s'exprime ici pleinement, puisque là où un autre auteur se serait emmêlés les pinceaux, Mieville parvient à développer un univers cohérent et crédible, en parallèle au déroulement de l'histoire. Celle-ci débute à Besźel, où l'inspecteur de la brigade criminelle Tyador Borlú, le parfait private du roman policier, découvre le cadavre d'une jeune femme. On va suivre ce personnage tout au long de son enquête, qui commence à Besźel (première partie du livre) pour se poursuivre à Ul Qoma (deuxième partie du livre) à mesure que Borlú se rend compte de l'ampleur et des ramifications de l'affaire, et se termine... quelque part. Notons simplement sans trop en révéler que celle-ci l'amène à enquêter autour de la mystérieuse Breach, et de la légende d'Orciny, qui voudrait qu'une troisième ville éponyme existe secrètement entre les deux autres.

Ce que j'ai préféré dans ce roman, c'est la construction imaginaire et intellectuelle de l'existence superposée des deux villes, extrêmement convaincante et fascinante. Les habitants de chaque ville ont par exemple été entraînés à "dévoir" ("unsee" en VO) les habitants, bâtiments et évènements de l'autre ville, c'est à dire de les effacer consciemment de leur esprit. Petit écho dérangeant au comportement de tout bon citadin, qui s'habitue à la pauvreté qui l'entoure et qu'il finit par ne plus voir, par simple construction de l'esprit. Cette séparation est permise par les fortes différences architecturales, d'habillement, et simplement d'allure entre les deux villes et leurs habitants. Ca donne d'ailleurs lieu à un passage délicieux où l'un des personnages, maîtrisant parfaitement les codes de chaque ville, passe pour un véritable fantôme, aucun des habitants des deux villes ne pouvant déterminer avec certitude s'il se trouve dans l'une ou l'autre et craignant de "brêcher" en le voyant.

Un autre élément que j'ai beaucoup aimé dans le bouquin : les constructions de langage. On a droit à un mélange entre termes techniques policiers, argot slavisant ("policzai", "militsya"), et mots liés à la nature même des deux villes ("unsee", "topolganger", "grosstopically", "crosshatch"). Le tout sonne juste et renforce l'immersion. Par contre, c'est le traducteur qui va s'amuser. Traduction en français qui, d'ailleurs, est prévue pour la fin d'année. Encore un peu de patience pour les anglophobes...

Seul (petit) bémol, l'enquête en elle-même ne m'a qu'à moitié convaincue, ne saisissant pas toujours les liens logiques entre les évènements et les conclusions de Borlú (qui pour le coup passe pour un véritable génie du crime), d'où une certaine impression d'artificialité par moments. Après, c'est peut-être moi qui suis tout simplement mou du bulbe...



Coup de coeur


Ils en parlent également : Imaginelf, Lilyn Kirjahylly

Je déclare ce blog officiellement ouvert!

lundi 14 février 2011

Ouééé!
Bon, je vais pas rester là à boire du champ' tout seul comme un con, y'a encore du boulot.
A venir : mon avis sur The City & The City de China Mieville, et sur La Route de Cormac McCarthy. Restez branchés. C'est tout pour le moment.

(image sous CC-BY)