Les lions d'Al-Rassan - Guy-Gavriel Kay

mercredi 30 mars 2011
Roman publié originellement en 1995,  ici l'édition française chez J'ai Lu de 2005

Il fallait bien une lecture commune du Cercle d'Atuan pour me pousser à remettre le nez dans un bouquin de fantasy, genre dont j'ai tendance à me tenir à l'écart ces derniers temps (la faute à de gros préjugés sur des poncifs récurrents qui ont sur moi des effets soporifiques). Pourtant, on ne peut pas vraiment dire que Les lions d'Al-Rassan soit un roman de fantasy traditionnel. S'inspirant directement de l'Espagne d'Al-Andalus, Guy-Gavriel Kay (GGK) nous livre ici une espèce de relecture mythifiée et romancée de cette période de l'histoire. En s'affranchissant explicitement du cadre restrictif de l'histoire "officielle", GGK nous rappelle que celle-ci n'est jamais qu'une relecture subjective du passé.

Sous fond de guerres de religion et de tensions politiques, l'histoire nous amène à suivre le destin de Jéhane, jeune femme médecin kindath qui va voir sa vie basculer le jour où elle sauve de justesse un riche marchand de sa ville condamné à la mort. Elle rencontrera rapidement deux des hommes les plus influents de la péninsule, le capitaine jaddite Rodrigo Belmonte et le poète et assassin asharite Ammar Ibn Khairan, qui vont être au coeur des bouleversements qui se profilent dans la péninsule.

GGK mêle avec brio les destins de nombreux personnages, tout en liant ceux-ci à une trame scénaristique solidement construite. Sur ce point rien à redire, on ne peut qu'être en admiration devant la compétence de l'auteur qui arrive à articuler tout ça de façon crédible et sans jamais perdre le lecteur. Si vous êtes comme moi amateur d'intrigues politiques, de coups bas et de retournements de situation, vous allez vous régaler. Saluons également sa capacité à rendre ses personnages crédibles et attachants. GGK nous épargne ici un des poncifs de l'heroic fantasy avec ses personnages très archétypaux : ici chacun d'entre eux a une vraie personnalité et des motivations qui lui sont propres, même si l'on peut regretter qu'ils soient un peu trop "lisses". Rodrigo et Ammar apparaissent par exemple comme de véritables surhommes, donnant l'impression de toujours maîtriser la situation, ce qui finit par être lassant. Les dialogues quand à eux, souvent très riches et plein de sous-entendus, sont un vrai plaisir intellectuel, tout en étant chargés d'émotions. 

Toutefois je dois dire que je n'ai qu'à moitié accroché à ce roman, qui se dévore sans peine malgré ses plus de 700 pages, mais qui m'a aussi déçu sur certains points. En dehors du problème de certains personnages dont j'ai fait mention plus haut, certaines scènes manquent à mon sens de crédibilité et les ficelles sont parfois un peu trop apparentes. Celles-ci ne sont heureusement pas assez nombreuses pour gâcher le plaisir de lecture, mais j'ai quand même roulé les yeux plusieurs fois devant certains passages que j'ai trouvé proprement ridicules. Pour ceux qui ont lu le livre (attention spoilers), je pense notamment à la scène de flirt entre Jéhane et Ammar au début, à la résolution de la scène des deux assassins envoyés par Almalik II pour tuer les fils de Zabira, ou encore à la guérison miracle de Diego grâce à l'intervention du père de Jéhane. Un peu too much à mon sens... Autre défaut, plus mineur cette fois et plutôt une question de goût, ça parle d'amour (pardon, d'Amour) toutes les deux pages. A petite dose ça va, mais là j'ai presque l'impression de lire un livre de romance, et (surprise!) ça n'est pas trop ma tasse de thé.

Au final, un avis mitigé donc. J'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture et je suis content de voir qu'il est possible de faire "autre chose" en fantasy. Mais n'étant qu'à moitié rentré dans l'histoire (la faute aux défauts mentionnés plus haut), je n'en garderai pas un souvenir impérissable.

Blade Runner, la totale

samedi 26 mars 2011
EDIT : extension de la deadline au 30 août!


Le challenge Winter Time Travel (auquel j'ai honteusement omis de participer) venant de se terminer, et à l'occasion de la sortie en français de l'adaptation en comic (preview ici), j'ai eu l'idée de proposer un défi un peu particulier. Cette fois, il ne s'agit pas de lire des bouquins liés à une thématique ou un auteur, mais de (re)découvrir les différentes adaptations d'une même oeuvre, Blade Runner. A savoir : le chef-d'oeuvre de Ridley Scott évidemment (la Director's cut tant qu'à faire), le livre de K.Dick dont il est tiré : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques (jusque là rien que du très classique), mais aussi la "suite" écrite par K. W. Jeterle comic (premier tome déjà traduit, deuxième prévu pour le 26 mai prochain) et le jeu vidéo d'aventure.

Petite explication sur ce dernier, puisque j'imagine que tout le monde n'est pas familier avec celui-ci. C'est un point&click (comprenez qu'il faut cliquer au bon endroit pour progresser dans le jeu) articulé autour de la collecte d'indices pour résoudre une enquête. Sortit en 1997, il a forcément prit un coup de vieux graphiquement parlant. Il ne s'agit pourtant pas d'un simple produit dérivé d'exploitation de licence comme il en existe tant, puisque ses qualités sont largement reconnues par les amateurs du genre (voir ici ou  par exemple). A noter également que si l'on retrouve de nombreux éléments familiers du film / livre, le scénario est original, l'enquête étant sensée se dérouler en parallèle aux évènements du film et du livre. Il est disponible gratuitement ici en abandonware (pour ceux qui ne connaissent pas ce concept, je préfère préciser qu'on est ici dans zone grise de légalité).

Tout l'intérêt sera évidemment de croiser les approches, de noter les différences d'interprétations et l'utilisation des particularités du média dans la narration. Pour participer, il vous suffit de lire / voir / jouer à au moins deux des adaptations. Pour s'inscrire rien de plus simple, laissez un message dans les commentaires de ce billet. Je ferai un billet récapitulatif d'ici mi-2011 reprenant toutes vos chroniques (le 30 juin août sera donc le dernier jour pour les écrire, pour ceux du fond qui n'ont pas suivi). Je vous invite à reprendre l'image ci-dessus et à mettre un lien vers ce billet dans vos chroniques, pour le recensement. A vos claviers!

Participent pour l'instant :
Maëlig

Demain les chiens - Clifford D. Simak

mercredi 23 mars 2011
Recueil de nouvelles publié originellement en  1944, ici l'édition française chez J'ai Lu de 2002

Ca faisait un moment que je n'avais plus lu de SF pur jus, old school. Mais finalement, on revient toujours à ses premiers amours, et j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce recueil de nouvelles souvent considéré comme un classique du genre.
Alors je vous préviens tout de suite : ne vous attendez pas à des vaisseaux spatiaux à gogo ou des extrapolations de théories scientifiques avancées. On est ici en pleine "soft-SF", celle de Bradbury ou de Keyes, et finalement, je dois bien l'avouer, mon sous-genre préféré. C'est de la littérature d'idées, sans pour autant être intellectualisante : une lecture abordable et agréable, mais qui continue à faire réfléchir une fois le bouquin refermé. Beaucoup plus proche du conte philosophique, en somme, que du roman d'aventure.

Les huit nouvelles se suivent chronologiquement : on fait entre chacune des bonds de quelques dizaines ou centaines d'années, mais on retrouve à chaque fois les descendants de la même famille, les Webster (ce qui rappelle un peu la narration de Fondation sur ce point). L'ensemble est lié par un fil rouge qui donne son titre au recueil : ces nouvelles seraient les témoignages d'une espèce disparue, l'homme, dans un monde habité par les chiens, devenus des êtres intelligents et formant la nouvelle civilisation dominant la terre. On va comprendre petit à petit comment on en est arrivé là, en commençant à la première nouvelle par un futur très proche (à peu près notre époque, sachant que le livre a été publié pour la 1è fois en 1952), et en accélérant le rythme au fur et à mesure, pour finalement perdre jusqu'à nos derniers repères.
Par ailleurs, on a droit entre chaque nouvelle à un petit commentaire savoureux de "l'éditeur" (chien, donc), qui nous démontre par a plus b que le texte qui suit est selon toute vraisemblance un mythe farfelu, puisque qu'aucune espèce n'aurait décemment pu vivre et penser comme l'homme. C'est bien trouvé et souvent assez drôle, même si ça finit un peu par se répéter.

Vous trouverez ici un résumé détaillé des nouvelles. Je me contenterais de donner mon avis sur chacune d'entre elles.
La Cité est une nouvelle plein de bonnes idées qui distille un parfum envoûtant de nostalgie, même si j'ai trouvé la fin un peu facile.
La Tanière est la seule nouvelle du recueil qui m'a laissé indifférent, bien que l'extrapolation psychologique (le développement d'une agoraphobie aiguë) à partir des éléments introduits jusqu'ici est plutôt bien vue.
Le Recensement est un récit touchant sur l'apprentissage et la transmission du savoir. Le mutant Joe m'a rappelé le Docteur Manhattan des Watchmen (pour son côté complètement détaché de l'humanité).
Les Déserteurs est la plus courte nouvelle du recueil, mais elle va à l'essentiel. Une jolie réflexion sur le thème de l'altérité.
Le Paradis est un véritable petit bijou, et ma nouvelle préférée du recueil. Les implications des idées soulevées dans cette nouvelle sont à faire tourner la tête. L'espèce humaine a-t-elle une valeur intrinsèque? Peut-on envisager son abandon volontaire au profit d'une forme de vie "meilleure", si l'occasion nous était présentée?
Les Passe-temps est une jolie nouvelle d'une certaine mélancolie, traitant de la folie des hommes et de l'espoir d'un monde meilleur.
Ésope (référence à l'inventeur supposé de la fable en tant que genre) aborde les mêmes thèmes que la nouvelle qui la précède, avec le recours à une dimension fantastique surprenant à défaut d'être très convaincant.
Finalement, Un moyen bien simple est intéressante en ce que les humains y sont (presque) complètement absents. Un joli travail d'extrapolation, mêlé à une réflexion sur le thème de l'héritage.

J'ai parfois eu l'impression au cours de ma lecture que Simak n'allait pas "au bout des choses", qu'il posait des prémisses intéressants mais ne les exploitait pas toujours à leur plein potentiel. Mais au final, je me demande si ça n'est pas plutôt un point positif : l'auteur esquisse des pistes de réflexion qu'il nous laisse le soin de poursuivre à notre guise. En tous cas, on ne peut qu'admirer le recul dont fait preuve Simak sur l'humanité, et l'humanité qui justement imprègne chacune de ses nouvelles. Une bien belle lecture.

CITRIQ

Il en parle également : Guillaume

Black Swan (Darren Aronofsky)

mercredi 16 mars 2011

Oui, je l'ai enfin vu. Bon, ce billet sera court, tant de choses ayant déjà été dites dessus ici et là (allez voir à la fin du billet pour quelques liens vers des chroniques que j'ai trouvées intéressantes).

Pour aller à l'essentiel : oui, ce film mérite à mon sens largement la "hype" boucheàoreillo-médiatique dont il a fait l'objet dernièrement, et probablement même son qualificatif de chef d'oeuvre. Bon, en toute honnêteté je suis peut-être mauvais juge, Aronofsky étant un de mes réalisateurs préférés : j'ai vu et apprécié l'ensemble de ses longs métrages (oui oui, même les très spéciaux π et The Fountain). Autant vous dire que je l'attendais au tournant avec Black Swan.

Le pitch, vous le connaissez sans doute déjà : une danseuse étoile espère obtenir le rôle de la reine des cygnes dans le prestigieux ballet du Lac des Cygnes. Elle doit pour cela incarner le personnage du cygne blanc, mais aussi son double maléfique, le cygne noir. Obsédée par la perfection et mise sous pression par son environnement, elle va se faire souffrance (au sens propre comme au figuré) et sombrer progressivement dans la folie.


On a ici un film sensible, intense et nerveux. La caméra colle en quasi-permanence à Natalie Portman dans des plans très serrés, ce qui peut sembler déconcertant (voir gerbant, si vous avez le mal de mer) au départ, mais ce cadrage se révèle au final judicieux en ce qu'il renforce le point de vue introspectif du film. Il est également intéressant de voir comment Aronofsky a repris certains codes du film d'horreur en les détournant pour jouer sur la folie de son personnage. En dehors de ces aspects techniques, force est de constater que la sauce prend. Tel un cyclone, le film nous soulève, nous secoue et l'on sort de la salle vidé et en morceaux.

Ce film m'a aussi réconcilié avec Natalie Portman, et je peux vous dire que ça n'était pas gagné. C'est peut-être à cause de films dans lesquels elle avait joué et que je n'avais pas du tout aimé (oui, c'est vous que je vise SW: The Phantom Menace et V for Vendetta), mais je l'ai toujours considérée comme une actrice banale, voire fadasse, au jeu uniforme et incapable de communiquer la moindre émotion à travers l'écran. Force est de constater avec Black Swan que je m'étais trompé, et pas qu'un peu. Elle incarne ici son rôle à la perfection, cette perfection vers laquelle son personnage s'efforce justement de tendre, au risque de mettre un pied dans l'abyme.






Rare sont les films qui font l'unanimité (jugez plutôt : même le terrible Roger Ebert en dit du bien!). Ca n'est pas sans raison, et je ne peux que vous encourager à courir dans les salles si vous ne l'avez pas encore vu.

Coup de coeur










Ils en parlent également : DomBoustouneCachou, Lintje et Ludo, Pitivier, Calenwen

La naissance d'une religion : Minecraft Chain World

mardi 15 mars 2011

source


Bon, ça devait bien arriver un jour ou l'autre. Vous noterez pour la postérité que je me suis quand même retenu pendant un mois entier. Mais bon voilà, comme tout bon blogueur fan de jeux vidéo, je me retrouve à écrire un billet sur Minecraft. Pas pour vous présenter le jeu, après tout d'autres blogs le font beaucoup mieux que je ne le pourrais jamais (si vous ne connaissez pas du tout le jeu vous pouvez aussi aller jeter un oeil à ce trailer qui est pas mal foutu, même s'il donne un peu trop dans le dramatique à mon goût). Non, ce dont je veux vous parler est autre chose, une sorte de méta-jeu Minecraftien.

Je dois dire que qui me fascine avec Minecraft est moins le jeu en lui-même (je me suis amusé en y jouant quelques heures, mais c'est tout) que tout ce qu'il y a autour. Les créations géniales ou loufoques de la communauté, cet espèce d'enchantement enfantin consistant à bricoler avec ses jouets, à détruire son vaisseau spatial pour reconstruire un bateau de pirates avec les blocs de lego ainsi récupérés, et la fierté de montrer à tous ses amis sa nouvelle création. Mais il y a aussi des créations d'un autre type. Celles qui modifient la structure même du jeu (les "mods"). Chain World est de celles-là.

Sorti du cerveau génial de Jason Rohrer (auteur notamment du p'tit jeu touchant Passage auquel j'espère consacrer un billet prochainement, et plus récemment de Sleep Is Death, qui est le jeu sur ordinateur qui se rapproche le plus de l’expérience du JdR papier), le concept de Chain World est simple : un monde Minecraft unique, passant de mains en mains, chaque joueur reprenant le jeu là où le précédent l'a arrêté. Concrètement, le mod est sauvegardé sur une clef USB et le jeu n'est joué à tout moment que par le joueur qui la détient ; dès que son personnage meurt, le monde est sauvegardé et il doit donner la clef USB à quelqu'un d'autre. Qui se retrouvera dans le monde modelé par tous les joueurs précédents, mais sans indication quant à la signification ou l'utilité de cet héritage. Tel un archéologue, il pourra essayer de comprendre ce que ses précédentes incarnations ont voulu faire, pourquoi, ou même découvrir la façon dont elles sont mortes. Tel un visionnaire (ou un mégalo, c'est selon), il pourra s'efforcer de construire quelque chose qu'il pourra léguer aux prochains joueurs, et qui auront une signification à leurs yeux. Car ce mod, vous l'aurez compris, est une métaphore de l'histoire, et la façon dont on l’interprète. Mais l'intéressé vous expliquera cela mieux que moi (anglophobes s'abstenir) (vous pouvez sauter les 5 premières minutes) :


Une sorte de version moderne du cadavre exquis, en fait. Comme vous avez pu le voir dans la vidéo, les joueurs doivent respecter certaines règles :
1. Run Chain World via one of the included “run_ChainWorld” launchers.
2. Start a single-player game and pick “Chain World”.
3. Play until you die exactly once.
3a. Erecting wooden signs with text is forbidden
3b. Suicide is permissible.
4. Immediately after dying and respawning, quit to the menu.
5. Allow the world to save.
6. Exit the game and wait for your launcher to automatically copy Chain World back to the USB stick.
7. Pass the USB stick to someone else who expresses interest.
8. You do not talk about Fight Club Never discuss what you saw or did in Chain World with anyone.
9. Never play again.
Le point 3a est pour éviter que les joueurs laissent des instructions ou des explications destinées à leur successeur, ce qui va évidemment à l'encontre du principe même du jeu. Le point 8 est le plus intéressant, et évidemment le plus polémique : quel est l'intérêt du mod, si l’expérience ne peut pas être partagée avec l'ensemble de la communauté?

J'espère pour ma part que le code source du mod de Rohrer sera leaké d'une façon ou d'une autre, pour que d'autres chaines voient le jour. Ca pourrait bien me donner envie de rejouer à Minecraft...

L'Incal, l'intégrale - Alejandro Jodorowsky & Moebius

lundi 7 mars 2011
Série BD parue originellement entre 1981 et 1988 chez les Humanos, ici l'édition intégrale de 2010

Tout d'abord, une petite note d'ordre général sur la forme. Après avoir laissé tomber le système de notes que j'avais vu chez la plupart de mes collègues blogueurs et qui me semblait au départ nécessaire, mais qui au final m'embêtait plus qu'autre chose, je m'essaye à une structure plus "libre" pour mes billets. Comprenez : exit l'extrait, le résumé et tutti quanti (je garde juste la couv' en en-tête). Je ne sais pas encore si je vais continuer comme ça ou si je reviendrais dans le droit chemin après mon errance chaotique, on verra bien. Et puis au fond on s'en fout, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, n'est ce pas?


Attention, ce billet peut contenir des propos choquants pour les admirateurs de Moebius et/ou Jodorowsky. Prière de les écarter de l'écran. Soyons clair d'entrée de jeu : ça faisait longtemps que je n'avais pas prit aussi longtemps pour lire une BD, ni que je ne m'étais autant ennuyé (l'un expliquant peut-être l'autre). En même temps il faut dire que l'intégrale des 6 tomes est un sacré pavé. J'ai tout lu d'un coup, et paf, indigestion. Détaillons un peu.

Ca commence pourtant bien. Le personnage principal, John Difool (JDF), est l'anti-héros par excellence : un private un peu looser, qui se retrouve mêlé à des évènements qui le dépassent, alors que lui tout ce qu'il veut c'est siroter son verre de ouiski (sic) en compagnie d'une homéopute (re-sic) (le parfait disciple de Bukowski, en fait). Certes, ça manque cruellement d'originalité, et c'est un problème sur lequel je reviendrai après. Mais ça nous rend le bonhomme plutôt sympathique et apporte une dimension humaine au récit, même si elle se retrouve diluée par la suite. JDF entre par hasard en possession d'un mystérieux artéfact, l'Incal lumière, qui semble attirer bien des convoitises.
Je triche un peu, cette image n'est pas dans le cycle d'origine


Et là, c'est le drame, comme on dirait à Groland. Ça s'emballe, ça s'embrouille, ça part dans tous les sens, on nous bassine avec un espèce de blabla mystico-cryptique qui est censé nous tenir en haleine pendant tout le récit mais qui m'a rapidement ennuyé et fait décrocher. Du coup j'ai lu le reste d'un oeil torve en me disant "bordel, c'est quand même considéré comme un classique de la BD science-fictionnesque, il doit bien y avoir une raison". Mais voilà, je ne suis pas rentré dedans. C'est surement aussi dû au côté très cliché de l'arc narratif, avec une opposition au niveau cosmique entre la force du bien et celle du mal. Là c'est pas forcément un jugement sur les qualités intrinsèques de cette BD, mais ce genre de truc me sort par les trous de nez. En essayant de conserver une certaine objectivité, je dirais qu'il faut quand même être au courant avant d'ouvrir cette BD (ça n'était pas mon cas) qu'on a à faire à de la SF très pulp. Il ne faut pas s'attendre à quelque chose d'intellectuellement ambitieux ou de profondément touchant.

L'aspect graphique rehausse le niveau de l'ensemble et est un vrai régal pour les mirettes (comme toujours avec Moebius). Les Humanos ont fait le (bon) choix de revenir aux couleurs d'origine pour cette intégrale, après diverses expériences ratées de "remasterisation". Jugez plutôt :

(vous remarquerez au passage l'habile clin d'oeil à H2G2)

Alors certes, ça a clairement prit un coup de vieux, notamment sur les couleurs justement, mais aussi au niveau des traits des visages (ça n'a jamais été le fort de Moebius) et l'aspect très rétro-futuriste de certains décors, mais ça ne m'a pas du tout gêné et j'ai même trouvé que ça a un certain charme. Il y a des planches absolument magnifiques (jaw-droping comme on dit en anglais, j'aime bien l'expression). Pour ma part, j'avoue avoir un faible pour celles mettant en perspective les personnages devant l'immensité des décors. Quelques exemples, en plus de la planche en page 2 montrée plus haut :



Au final, je reste quand même sur ma faim et cette BD aura été pour moi une grosse déception, pour l'oeuvre qu'on présente comme le chef-d'oeuvre absolu de la BD SF. A moins d'être un fan inconditionnel de space-op et de SF pulp, ou tout simplement (et de façon un peu plus compréhensible) un grand admirateur de Moebius, m'est avis qu'il y a plus intéressant à lire en BD SF.

Coup de pied


CITRIQ

Escape from Hell - Hal Duncan

jeudi 3 mars 2011
Novella publié en 2008 chez Monkeybrain (traduite en français sous le titre "Évadés de l'enfer!")

L'histoire commence sur les chapeaux de roue, puisqu'on assiste successivement à la mort des quatre personnages principaux, dans une narration hachée et particulièrement rythmée. On constate immédiatement que Duncan a non seulement un réel talent et une jolie plume, mais qu'il n'hésite pas à jouer avec les codes narratifs au profit de l'histoire, pour notre plus grand plaisir. Toujours à propos du style : on se croirait parfois dans une salle de cinéma, tant la narration, les scènes d'action et les références directes (on notera notamment Escape from New York et Orange Mécanique) reprennent les codes de ce média. A tel point que le livre pourrait presque être un synopsis de film hollywoodien, les bons sentiments et autres niaiseries en moins. Tel un Tarantino qui aurait prit la plume, Duncan nous arrache des sourires à travers une violence outrancière, démoralisée, jubilatoire.

Car oui, Escape from Hell est un livre violent. Au menu : des balles dans les rotules, des coups de crosse dans les tempes et des dents éparpillées sur le bitume. Je reprendrai encore un peu de rab, merci. Ceci étant dit, la violence n'est pas (toujours) gratuite, mais sert la portée satirique de l'histoire, même si celle-ci reste à mon avis sous-exploitée. En vrac, quelques idées qui m'ont plues :

  • Le principe qu'on se retrouve en enfer parce qu'on pense le mériter au moment de sa mort. C'est ainsi que le pauvre Matthew, dont la seule faute aura été d'être homosexuel, se retrouve aux côtés de criminels endurcis.
  • L'enfer "sur mesure". Selon ses vices lors de son passage sur terre, on se retrouve dans une situation bien particulière en enfer. Bon, ça n'est pas forcément particulièrement original, mais l'idée est plutôt bien rendue. Je pense notamment à Belle (la prostituée), qui se retrouve enfermée dans une chambre d’hôtel 24h/24 à faire des passes pour les policiers de l'enfer, et ce pour l'éternité.
  • La télévision, toujours allumée, et son unique chaîne, Voxnews (ça ne vous rappelle rien?), qui abrutit à longueur de journée à grands coups de faits divers et de reportages "de terrain".
  • Les clodos, qui à force d'être ignorés et volontairement oubliés dans la vraie vie, sont devenus réellement invisibles à l'oeil nu en enfer.

Bon, ça c'est pour la première partie du bouquin. Parce qu'après nous avoir brossé un portrait à la fois terrifiant et drôlement cynique de l'enfer, Duncan laisse un peu de côté ce foisonnement d'idées pourtant intéressantes pour faire avancer le récit. Et on se retrouve rapidement dans une évasion somme toute assez classique (l'enfer servant alors plus de décors qu'autre chose), où les protagonistes jouent à qui-c'est-qui-a-la-plus-grosse (machine gun). Bon, personnellement autant l'action pour l'action peut me distraire dans un film (et encore...), autant ça m'ennuie très rapidement dans un bouquin. Je ne garderai donc pas un souvenir impérissable de ce livre. Heureusement, c'est très court et ça se lit d'une traite, donc on n'a pas vraiment le temps de s'ennuyer.

Imaginez l'adaptation en livre de L4D, et vous aurez une assez bonne idée de l'ambiance d'Escape from Hell (au moins pour le côté cheesy)

Verdict : Si vous cherchez les subtilités et les histoires touchantes et finement ciselées, passez votre chemin. Escape from Hell est un bon film livre de série B qui remplit ses promesses en nous livrant une histoire allant à 200 à l'heure et esquintant au passage quelques uns des travers de la société américaine (mais de façon un peu rapide à mon goût).


CITRIQ

Ils en parlent également : les copains du Cercle d'Atuan, PAT sur le Cafard Cosmique