So long, and thanks for all the fish

jeudi 22 décembre 2011

Voici déjà plusieurs semaines mois que je n'ai plus posté. Des évènements personnels (rien de grave, juste des journées bien remplies) font que je n'ai plus autant de temps qu'avant à consacrer à ce blog. J'ai préféré me laisser un temps de réflexion avant de décider si j'allais m'y remettre pour de bon ou mettre le blog en pause, et c'est finalement vers cette dernière option que je me tourne. Je n'ai tout simplement plus le temps de continuer à  lire tout en faisant des chroniques régulières, et pas forcément la motivation non plus. Je n'exclus pas de m'y remettre un jour si l'envie revient, mais en attendant je préfère officialiser la clôture de ce blog. Aucun regret, j'ai pris beaucoup de plaisir à chroniquer mes lectures (et plus) depuis le début d'année et j'ai fait de très chouettes rencontres (en ligne et IRL) parmi mes collègues blogueurs, que je continue d'ailleurs à lire régulièrement. Et bien sûr, je reste actif sur les forums SFFF et je continuerai à participer à des LC à l'occasion. So long!

Vingt mille lieues sous les mers - Jules Verne

mardi 13 septembre 2011
Roman originellement paru en 1869-70, ici l'édition Le Livre de Poche de 2001 

Il était plus que temps que je me mette un Verne sous la dent, en grand ignare que je suis. Alors tant qu'à faire, autant commencer par l'un des plus connus, choisi comme lecture commune du mois d’août du Cercle d'Atuan. Ça n'est pas une mauvaise chose de lire ce genre de classique (encore que celui-ci soit tout de même très accessible) en groupe, puisque qu'il y a toujours quelqu'un d'un peu mieux renseigné que vous (pas très dur dans mon cas) pour vous en apprendre un peu sur l'intertextualité de l'oeuvre, ce qui est toujours intéressant et éclairant.

Le père de la SF raconte ici comment le scientifique français Aronnax, son très fidèle compagnon Conseil et le harponneur canadien Ned Land (qui a un petit côté capitaine Haddock, mais ce serait plutôt l'inverse) vont être capturés par le capitaine Nemo. Celui-ci parcourt les sept mers à bord du Nautilus, un sous-marin dernier cri (enfin, pour l'époque) d'une rapidité et d'une résistance sans pareille. Ce prétexte va permettre d'explorer sous la forme de petits épisodes d'une dizaine de pages l'espace sous-marin qui recèle d'innombrables merveilles et dangers.

Bon, allons droit au but : je n'ai pas aimé. Sans pour autant détester, je me suis globalement ennuyé à la lecture de ce livre, à l'exception de quelques passages vraiment prenants (je pense notamment à la découverte de la forêt de l'île de Crespo, ou encore l'emprisonnement dans les glaces de l'Antarctique). Ce sentiment est sans doute en grande partie du à la structure par épisodes du livre, qui s'explique par sa publication initiale sous la forme de feuilletons. Du coup, ça fait très "découpé", on a un peu l'impression de passer du coq à l'âne toutes les dix pages. L'arc narratif chapeautant le tout est assez léger et sert clairement de prétexte à cette exploration sous-marine. Dito pour les personnages, qui s'ils ont une personnalité bien affirmée sont tout de même assez fins, là n'étant pas l'intérêt premier du roman. Par ailleurs, je trouve que la plume de Verne peut parfois être un peu lourde, particulièrement quand il se complaît dans des descriptions à rallonge autour de l'ichtyologie (l'étude des poissons). J'avoue que ça n'est pas ce qui m'excite le plus.

N'ayant pas lu de Verne jeune, je porte forcément un regard d'adulte sur ce livre, et je n'ai pas ce sentiment de tendre nostalgie que certains peuvent avoir vis-à-vis de ce roman populaire. Malgré tout cela, je suis tout de même content de l'avoir découvert, puisqu'il se laisse lire sans difficulté et avec un certain amusement, sans qu'il faille sans doute en attendre plus que ça.

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Lu dans le cadre du challenge Jules Verne

Atlas des brumes et des ombres - Patrick Marcel

vendredi 9 septembre 2011
Essai publié en 2002 chez Folio SF

Bizarrement, j'ai beau beaucoup aimer le fantastique en tant que genre littéraire, je me suis rendu compte que je le connaissais assez mal. Décidé d'y remédier un peu, je me suis attelé à la lecture de ce petit guide de lecture consacré à ce genre. Notons que le livre fait partie d'un cycle chez Folio SF, un ouvrage de ce genre ayant aussi été publié pour la SF, la fantasy et les "transfictions" (selon la formule de Francis Berthelot).

Le livre est divisé en deux parties. La première (70 pages) retrace l'histoire du fantastique, depuis ses origines dans la tradition païenne jusqu'à son relatif insuccès récent, en passant notamment par la période gothique, romantique, et les histoires de fantômes du XIXè. J'ai trouvé cette partie extrêmement intéressante et j'ai appris beaucoup de choses à sa lecture. Elle aurait même je pense méritée d'être un peu plus détaillée, bien que l'objet de ce livre soit avant tout de fournir une porte d'entrée accessible au genre, bien plus qu'un travail encyclopédique. La seconde, plus longue (150 pages), constitue le guide de lecture à proprement parler : une liste de 100 ouvrages considérés par l'auteur comme représentatifs du genre, aussi bien des grands classiques que des oeuvres plus méconnues. A noter que même pour les auteurs les plus réputés à la production abondante (je pense notamment à Poe, Borges, Lovecraft ou King), Patrick Marcel se limite ici à citer un ou deux de leurs ouvrages, ce qui au fond n'est pas plus mal puisque cela lui permet ainsi de parler d'autres auteurs qui gagnent à être connus. Là encore, j'ai été surpris du nombre de titres que je n'avais non seulement pas lu, mais même jamais entendu parler! En vrac, voici ceux que j'ai envie de découvrir (ayant mauvaise mémoire, il est possible que j'écorche un ou deux prénoms) :

Les livres de sang de Clément Barker
Le livre de sable de Jean-Louis Borges
La Foire des ténèbres et Le pays d'Octobre de Rachid Bradbury (déjà dans ma PàL)
Le Tour d'écrou d'Henrico James (dont j'avais déjà pu voir une adaptation en téléfilm)
Maison Hantée de Chantal Jackson
Salem de Steve King (déjà dans ma PàL)
Notre-Dame des ténèbres de Franky Leiber
Le Manitou de Grégoire Masterton
Anno Dracula de Kevin Newman
Malpertuis (déjà dans ma PàL) et Les Contes du whisky de Jeannot Ray
Le nid de Linsay Tuttle (dont j'ai déjà pu apprécier la plume)
Le Grand dieu Pan d'Armand Machen
Dracula de Brice Stoker (déjà dans ma PàL)
Le parfum de Paolo Süskind (déjà dans ma PàL)


Ouch. C'est le problème avec ce genre de bouquin : au lieu d'alléger ta PàL, il l'alourdit. J'ai du pain sur la planche!

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Elle en parle aussi : Tigger Lilly.

Elmer - Gerry Alanguilan

jeudi 8 septembre 2011
Album BD traduit de l'anglais, publié par Ça et Là en 2010

La mort de son père et la découverte du journal qu'il avait tenu tout au long de sa vie va provoquer quelque chose chez Jake Gallo, qui décide de partir sur ses pas pour chercher à comprendre ses propres origines. Il en tirera un livre, partageant ainsi avec le monde l’expérience traumatique d'un rescapé d'un génocide et de son intégration progressive à la société. Ah au fait, la famille Gallo sont des poulets. Oui, des poulets, vous avez bien lu. En 1979 a eu lieu l'Eveil, qui pour une raison inconnue (cela importe peu) a rendu conscients les poulets du monde entier.

Alors évidemment, quand votre futur repas est conscient de sa propre mort et vous supplie de l'épargner, ça vous coupe un peu l'appétit. Cet état de fait sera au départ complètement rejeté par les humains qui y verront les symptômes d'une nouvelle pandémie dont la seule façon de se débarrasser est d'abattre des élevages entiers (comme on a pu par exemple le faire avec la grippe aviaire), qui s'apparentent ainsi à de véritables camps de concentration. Peu à peu, quelques voix -- aussi bien humaines que poulets -- vont s'élever contre cette infamie et demander à ce que les poulets soient traités avec les mêmes égards que les humains, ce qui sera finalement le cas lorsque l'ONU décrétera que la déclaration universelle des droits de l'homme doit s'appliquer aux poulets. Pour autant, la bataille  pour l'égalité ne sera évidemment pas gagnée, puisque le racisme est persistent, d'un côté comme de l'autre.

Elmer est un récit poignant sur le thème du génocide, de la ségrégation raciale et des difficultés du pardon et de l'intégration en société. Le récit animalier permet à l'auteur d'aller extrêmement loin dans son propos, là où il aurait été délicat de parler sur ce ton d'un conflit réel. Les poulets, ce ne sont pas les juifs, les arméniens ou les rwandais : c'est tous les peuples qui ont été opprimés et ceux qui le seront encore. Pour autant, la BD ne se limite pas ici à un simple pamphlet dénonciateur : il s'agit avant tout de dresser le portrait d'une situation complexe et de ses conséquences sur des vies personnelles. C'est donc une très bonne exploration d'un "et si?". Malheureusement, il n'échappe pas à une petite dose de sentimentalisme et quelques clichés, qui m'ont empêché de rentrer à fond dans le récit. Mais il n'en reste pas moins fort bien construit, tant sur le fond que la forme.

Un mot sur le dessin, justement : le trait est très soigné, ce qui donne à la BD un côté réaliste. Il est amusant de noter que les poulets sont dessinés avec autant voire plus de soin que les humains, ce qui n'est évidemment pas innocent. Le tout en N&B, ce qui permet d'apprécier la pureté du dessin. Pour ma part, j'aime beaucoup.

Une petite planche VO pour vous faire une idée

Les premières 30 pages sont disponibles en VO ici, si vous voulez y jeter un oeil.


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Perdido Street Station - China Miéville

mercredi 24 août 2011
Roman publié en 2000 chez Tor (traduit en français sous le même titre)

Qui l'eu crût (lustucru) (ahem)? J'ai lu un roman de fantasy. Ça faisait longtemps, tiens. Et non seulement je l'ai lu, mais en plus j'ai beaucoup aimé. Comme quoi, il ne faut jamais dire "fontaine, je ne boirai pas de ton eau". Bon, c'est vrai, j'étais un peu en terrain connu, ayant déjà lu et apprécié The Scar et The City & The City du très recommandable China Miéville. Une nouvelle réussite, donc. Oui, mais... Aïe, il y a toujours un "mais". A vrai dire, quand j'ai refermé la dernière page du bouquin, j'étais excité comme une puce de mer. Je pensais tenir là une petite merveille, LE bouquin que j'attendais depuis des années. Et même si c'est un vrai coup de coeur, maintenant que j'y re-réfléchis à tête reposée, je me dis que le roman n'est pas exempt de (petits) défauts, les mêmes qui m'avaient déjà dérangés dans The Scar. Je crache dans la soupe SI JE VEUX, d'abord.

Mais d'abord, un mot sur l'univers. Pour une fois, je m'abstiendrai de parler de l'intrigue, celle-ci étant au final assez secondaire (et d'un intérêt limité, mais on y reviendra) à mes yeux. Le véritable intérêt du livre, et son personnage principal, c'est cette ville qui en est au coeur : New Crobuzon. Miéville nous plonge dans ses dédales, à la découverte d'un univers radicalement autre, décrit avec une puissance évocatrice et une cohérence qui nous le rend absolument fascinant. On se surprend alors à trembler devant les corps massifs et épineux des cactae, ces espèces d'hommes-cactus au caractère taciturne. On est pris de fascination devant les sculptures khepri, que ces femmes à tête de scarabée construisent à partir de sécrétions corporelles qu'elles colorent en ingérant diverses baies. On ressent un profond respect pour la froide dignité des garuda, ces oiseaux de proie humanoïdes venant du désert Cymek et vivant en tribus nomades coupées de toute civilisation. On est dégoûté par les transformations malsaines qui ont été faites sur les récréés, qui comme leur nom l'indique sont des criminels dont la punition a été imprimée dans leur chair, les transformant ainsi en bêtes de foire ou en outils vivants.


J'ai trouvé que New Crobuzon rappellait furieusement Sigil du JdR Planescape (les portails et les factions en moins, mais tellement d'autres bizarreries en plus). Ce mélange d'émerveillement et de désespoir crasseux à chaque coin de rue, cette esthétique à la croisée du steampunk et du médiéval avec une touche de baroque, ce melting-pot de différentes races qui cohabitent tant bien que mal (la plupart du temps dans leurs ghettos respectifs), cette ville-organisme qui fourmille de détails surprenants et fascinants. Ça me fait d'ailleurs penser que l'univers de Bas-Lag ferait un merveilleux cadre pour un JdR (Miéville, si tu m'entends!).


Pendant les premières 400 pages du bouquin (ce qui doit correspondre au premier volume de l'édition française il me semble), il ne se passe pour ainsi dire pas grand chose. Les recherches d'Isaac, le protagoniste principal qui essaye de trouver un moyen de refaire voler un garuda à qui on a arraché les ailes, patinent. Ça peut sembler bizarre, mais c'est la partie que j'ai préféré. En effet, cela fournit un bon prétexte pour confronter les personnages à diverses situations et nous faire visiter les différents quartiers de la ville. On ne se lasse pas de découvrir les merveilles (un peu) et les horreurs (surtout) de New Crobuzon, et on sent que Miéville (et nous avec) se régale dans ses descriptions, extrêmement détaillées. Quand il lance enfin l'intrigue à proprement parler, on a presque l'impression que c'est à regret, comme s'il se pliait à la contrainte qui a fournit le prétexte à cette exploration. Oh, on ne s'ennuie pas pour autant, puisqu'on continue dans la deuxième partie à faire des découvertes surprenantes, et la plume de Miéville est toute aussi habile pour décrire les scènes d'action. Simplement, c'est un peu plus convenu. Et comme à chaque fois dans les histoires de Miéville, la fin déçoit un petit peu, non pas parce qu'elle serait plus mauvaise (ni meilleure à vrai dire) qu'une autre, mais parce qu'on sait qu'elle signifie la fin du voyage. Et dans ses histoires, c'est toujours le chemin qui compte, bien plus que l'arrivée.


Malheureusement, tous les éléments ne sont pas à mon sens exploités à leur plein potentiel. La plupart le sont, mais certains sont simplement évoqués et survolés un peu trop rapidement. D'un côté, il est indéniable que cela participe au sentiment de foisonnement et de densité de l'univers : Miéville lance des idées, pique notre curiosité en suggérant que l'univers est bien plus large et complexe que ce qui pourrait être décrit dans l'espace limité de """seulement""" 900 pages. Et ça fonctionne largement. Sauf que de temps en temps, cela donne un sentiment d'artificialité, comme si cette fenêtre vers l’extérieur n'était qu'un trompe l'oeil et que Miéville essayait surtout de nous en mettre plein la vue, faire dans le bizarre juste pour paraître bizarre, sans que cela ne "serve" à grand chose.

PSS n'est pas un livre parfait. Mais merde, c'est un livre d'une imagination et d'une puissance évocatrice rare. Le genre de truc à mettre entre les mains de tous les fatigués des poncifs de la fantasy "à l'ancienne", et qui prouve qu'il est encore possible de renouveler le genre et de fasciner les lecteurs en faisant quelque chose de radicalement différent. Rien que pour ça, c'est une lecture qui vaut le coup.

Coup de coeur


Lu dans le cadre d'une lecture commune avec LhisbeiEfelle et Shaya (moi, en retard?)


Lu dans le cadre du défi Steampunk


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Melancholia - Lars von Trier

mardi 23 août 2011
Film sortit en 2011

Je n'avais jamais vu de Lars von Tier avant celui-ci - j'avoue avoir été rebuté jusqu'ici par son image de cinéaste arty -, mais puisqu'il flirte avec la SF dans son dernier film, j'ai tenté le coup. Mettons les choses au clair tout de suite : la SF n'y est utilisée que comme outil scénaristique, un simple prétexte pour raconter une histoire, planter une ambiance. Elle n'influence pas vraiment le ton du film, qui relève beaucoup plus du drame intimisme à tendance onirique que d'une approche rationaliste et explicative que l'on pourrait attendre d'un tel pitch.

Est-ce un oiseau? Un avion? Non, c'est... Melancholia

Le pitch, donc (légers spoilers) : la planète Melancholia se rapproche dangereusement de la terre, mais la plupart des scientifiques pensent que la collision sera évitée. Malgré tout, les deux soeurs Justine (Kirsten Dunst) et Claire (Charlotte Gainsbourg) commencent à ressentir que ça ne sera peut-être pas le cas, et réagissent respectivement par la dépression et la panique. Le film est divisé en trois partie : une sorte de prologue constitué de scènes tournées au ralentit et extraites du reste du film, la première partie centrée sur Justine où l'on assiste à son mariage qui va tourner au fiasco, et la seconde centrée sur Claire où celle-ci va prendre soin de sa soeur qui fait une grave dépression.

Être heureux (ou faire semblant), tant qu'il est encore temps

J'ai rarement vu d'oeuvre qui traite du thème de la mort de façon aussi brutale, directe, frontale. Et c'est très réussit. Tout au long de la première partie, un sentiment de malaise s'installe, qui va se transformer en peur dans la seconde. LA peur, la première et la dernière, la seule qui importe vraiment. Le film nous met à nu devant notre rapport à la mort, notre incapacité à la concevoir et à l'accepter. Il pointe du doigt les ridicules barrières que l'on s'efforce de construire entre elle et nous, ces rituels dont le but est de sacraliser la vie ou de lui donner un sens profond. Au final, celles-ci se retrouvent balayés d'un simple revers de la main.

Le comportement de la mère, Gaby, souligne la futilité de ces rituels

Au service de ce propos, une esthétique particulière et un très bon jeu d'acteur, qui vont permettre d'installer l'ambiance lourde qui convient : ça n'était pas gagné d'avance! D'ailleurs à mon sens Charlotte Gainsbourg aurait tout autant mérité le prix de l'interprétation féminine que sa collègue Kirsten Dunst qui l'a remporté au festival de Cannes 2011, puisqu'elle joue ici son rôle de façon bouleversante, particulièrement à l'approche de la fin.

Justine sombre dans une profonde dépression

Si je suis ressortit soufflé de la salle de cinéma, c'est que la seconde partie et la fin sont vraiment très réussis. Par contre je n'ai pas du tout accroché au "prologue" que j'ai trouvé inutilement arty, voire prétentieux. Et la première partie tirait un peu trop en longueur à mon goût, et aurait pu je pense passer le relais un peu plus vite à la seconde. Tant qu'on est dans les sujets qui fâchent, un détail plus technique : je ne sais pas si c'est volontaire, mais l'image a tendance à "trembloter" tout au long du film : j'ai trouvé ça agaçant et fatiguant, même si on finit par s'y habituer. Dernière critique, plus personnelle cette fois : je regrette un peu qu'on n'ait pas vu une réaction plus forte, ou en tous cas plus notable de la part de l'enfant. Je pense que l'enfant (en général, pas celui du film) a une conscience particulièrement aiguë de la mort, et un mélange de peur/fascination vis-à-vis de celle-ci à la fois plus intense et fondamentalement différent de l'adulte. Je trouve ça un peu dommage de ne pas l'avoir montré ici.

Derniers spasmes

Ça fait pas mal de défauts, qui font de Melancholia un film que je qualifierais de bancal. Mais cela n'est pas rédhibitoire, puisqu'il a tout de même réussi à me toucher et à me mettre profondément mal à l'aise (dans le bon sens du terme), comme je l'ai rarement été devant un écran. A noter que le film m'a rappelé par son thème et son ton ma BD préférée de l'année dernière, Château de sable.

Ils en parlent : Cachou, Lune libre au dessus de Chiba

Grandville - Bryan Talbot

jeudi 18 août 2011
Album BD paru en 2009 (traduit en français sous le même nom)

J'ai décidé de jeter un oeil à cette BD dont on a dit beaucoup de bien récemment dans la blogosphère. Et effectivement, il y a de quoi plaire : un décor steampunk / uchronique, des animaux anthropomorphisés au bagou indéniable, une intrigue avec un complot gigantesque, une aventure haute en couleur (au sens figuré comme au propre) et des références en pagaille (à commencer par le titre, qui est un hommage au caricaturiste du 19è, et la couverture qui n'est pas sans rappeler celle des éditions Hetzel de Jules Verne).

Plantons le décor : il y a deux cent ans, la Grande Bretagne a perdu les guerres napoléoniennes. Comme le reste de l'Europe, elle a été conquise par la France et comme il se doit la famille royale anglaise a été guillotinée (difficile alors de parler d'époque "victorienne", Victoria n'ayant jamais existé). La Grande Bretagne a fait partie de l'empire français, jusqu'à ce que quelques années avant le début du récit elle ait proclamée son indépendance suite à un soulèvement populaire et des attentats anarchistes qui ont donnés naissance à la République Socialiste de Bretagne (oui, rien que ça). Cet univers alléchant ne sert pas que comme arrière-fond de l'histoire : l'affaire qui semble au départ n'être qu'un vulgaire suicide (qui n'en est évidemment pas un) va remonter dans les plus hautes sphères de la politique française. C'est le blaireau et par ailleurs inspecteur de Scotland Yard LeBrock et son coéquipier Ratzi le rat qui vont mener cette enquête.

Dès qu'on parle d'inspecteur anthropomorphisé, difficile de ne pas penser au génialissime Blacksad. Et effectivement, LeBrock a ce petit côté "héros solitaire" (même s'il a un assistant) discret mais génial, même si à mon avis il n'atteint pas la classe de son collègue félin. On a un peu de mal à s'identifier à lui je trouve, d'une part parce qu'il est trop "parfait" (mais ça c'est le propre des héros), mais surtout parce qu'il n'hésite pas à avoir recours à la violence, y compris dans les situations où cela n'est absolument pas nécessaire. C'est un point (mineur) qui m'a un peu énervé dans la BD, et pourtant je ne pense pas être prude à ce niveau là. C'est juste que ça m'a parut vraiment gratuit.

L'histoire est un peu convenue mais joliment menée, avec des rebondissements qui font qu'on ne s'ennuie pas tout au long des 100 pages (tout de même). Par contre j'ai trouvé la chute en happy end peu crédible, petite déception de ce côté là. Mais c'est les détails qui ont vraiment vendu la BD à mes yeux : Talbot s'est amusé à glisser des clins d'oeil un peu partout, auxquels le lecteur attentif ne peut s'empêcher de sourire. C'est amusant d'ailleurs puisqu'il y a beaucoup de références que j'aurais tendance à considérer franco-françaises, j'imagine que ça ne doit quand même pas être évident pour un lecteur anglais (rappelons que la BD est initialement parue outre-manche) de reconnaître Spirou, Bécassine ou même Jean-Marie Le Pen (oui vous avez bien lu)! Sans oublier le détournement de tableaux célèbres. Plutôt osé de la part de l'auteur, du coup.

Côté dessin, je dois dire que je n'ai pas du tout accroché. C'est rare que ce soit le cas, puisque j'aime aussi bien des traits très simples comme celui de Trondheim que des choses un peu plus travaillées, l'essentiel étant que ça colle au style de l'histoire, et généralement une certaine alchimie opère. Sauf que là, j'ai trouvé les couleurs vraiment trop criardes, avec des effets photoshop un peu grossiers à mon goût. C'est vraiment une question de goût je précise, je ne prétends pas avoir la moindre objectivité en la matière. Après tout, le trait est plutôt soigné et a un certain style (que l'on pourrait qualifier de "naïf"). Le mieux est de s'en faire une idée soi-même :


Au final il y a trop de points négatifs au tableau pour que je puisse dire avoir adoré, mais j'ai quand même passé un bon moment. Ca n'est pas la BD de l'année, mais c'est du bon divertissement. A noter qu'une suite existe, "Grandville mon amour", et qu'un troisième tome est apparemment prévu.


Lu dans le cadre du défi steampunk

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The Godfather I, II, III - Francis Ford Coppola

mercredi 17 août 2011
Films sortis en 1972, 1974 et 1990

Récemment, j'ai eu la chance de revoir les trois The Godfather sur grand écran (les cinémathèques c'est le bien). J'ai sauté sur l'occasion, surtout que mon dernier (et premier) visionnage remontait déjà à quelques années, du temps où j'étais encore un boy scout en baskets qui trouvait ça cool les films où les gens disent "fuck" ou se réveillent avec une tête de cheval dans leurs draps (bon OK, ça ça reste assez cool). J'avais adoré ces films à l'époque, et je pense qu'ils ont beaucoup contribué à ma fascination pour les films de gangsters (à ce propos, ça m'a rappelé à quel point The Sopranos est bourré de références et clins d'oeil à The Godfather). Et de nouveau, j'ai été complètement séduit.

La petite surprise du matin

Est-il vraiment nécessaire de rappeler de quoi ça parle? A travers les trois films (dont le premier est l'adaptation d'un livre de Mario Puzo), Coppola retrace l'histoire de la famille des Corleone, depuis l'assassinat du père de Vito en Sicile et l'exil forcé de ce dernier vers l'Amérique en début de siècle (dans le 2è film), jusqu'aux efforts de son fils Michael pour faire passer les affaires de la famille dans la légalité quelque 70 ans plus tard (dans le 3è film).

Dans le troisième film, Michael n'est plus qu'un vieil homme fatigué qui cherche à se racheter une conscience

C'est donc toute l'histoire de la mafia italo-américaine qui nous est présentée ici, ce qui aurait pu donner à ces films un côté très documentaire. Ca n'est absolument pas le cas, puisqu'on plonge au contraire dans la vie de la famille des Corleone, pour lesquels on ne peut s'empêcher de développer une certaine empathie et une forme de respect, malgré toute l'horreur que nous inspirent leurs actes. Je pense en particulier au personnage de Michael joué (avec brio) par Al Pacino, le cadet de la famille qui au début du 1er film refuse de mettre les mains dans ses affaires frauduleuses, ce côté "vilain petit canard" nous le rendant immédiatement sympathique. Il va tout faire pour protéger son père, qu'on cherche à assassiner, jusqu'à se trahir lui-même. On assiste alors à la transformation d'un homme qui va prendre la tête de la famille et de ses affaires, perdant peu à peu toute la joie de vivre et la compassion qui l'habitait encore. Dans son aveuglement, en cherchant à protéger ceux qu'il aime, il va se retourner contre eux et les perdre définitivement.

Le deuxième film montre comment Vito est devenu le parrain, en prenant soin de sa communauté

Les deux premiers films m'ont plus marqué que le troisième, qui fournit un épilogue satisfaisant mais globalement un poil en dessous de l'ensemble. Je pense que c'est en partie à cause du casting, puisque là où Marlon Brandoe et Robert De Niro insufflent tout leur charisme et leur énergie dans les deux premiers films, il n'y a personne pour vraiment prendre le relais dans le troisième (sauf Al Pacino qui est toujours excellent). Et puis à vrai dire j'ai trouvé que Sofia Coppola jouait assez mal, malgré tout le respect que j'ai pour elle en tant que réalisatrice. Par ailleurs, je me rends compte que la plupart des scènes qui m'ont le plus marquées sont dans les deux premiers films (attention, spoilers!) : le coup de la tête de cheval, l'assassinat de Sollozzo et McCluskey par Michael, les assassinats des parrains de chaque famille new-yorkaise commandités par Michael et présentés en parallèle au baptême de son fils (à la fin du 1), la dispute entre Kay et Michael où celle-ci lui annonce que sa fausse-couche était en fait un avortement, l'assassinat de Fredo commandité par Michael.

Cerveau et spaghetti, l'assiette du chef

Bref, je me suis de nouveau régalé en regardant ces trois films qui n'ont décidément pas pris une ride, et dont les deux premiers sont je pense considérés à juste titre comme des chefs-d'oeuvre du cinéma.

Coup de coeur

Palimpseste - Charles Stross

jeudi 11 août 2011
Novella traduite de l'anglais, publié chez J'ai Lu en 2011

Désolé blog chéri, je t'ai négligé ces derniers temps, mais c'est pas ma faute tu vois, j'ai un alibi solide : une vie IRL. Et des fois, celle-ci a tendance à fâcheusement empiéter sur le temps que je te consacre. Saleté! Mais en attendant que je télécharge ma conscience sur support numérique, je dois faire avec.

Attiré comme le vulgaire chaland par la discrète bannière recouvrant la moitié du bouquin d'un alléchant "Prix Hugo 2010" et me souvenant avoir lu/entendu des trucs par ci par  à son sujet (si j'avais eu meilleure mémoire, je me serais aussi souvenu qu'on n'en disait pas que du bien), je me suis lancé dans cette lecture qui s'est révélée aussi courte que déroutante.

Mais avant d'en dire du mal, parlons tout de même un peu de l'histoire. Pierce est un nouvel agent de la Stasi Stase, une agence intertemporelle chargée de surveiller l'humanité (jusque là rien que du très classique), non pas pour la sauver (ah?), puisqu'elle est de toutes façons condamnée à s'éteindre rapidement (oh?), mais pour sélectionner régulièrement un petit échantillon d'humains qui serviront à "réensemencer" la terre une fois que toute vie aura disparu (ah!), encore et encore. Problème : l'intervention simultanée de plusieurs sources sur un même épisode historique crée des versions divergentes de ceux-ci, des palimpsestes, et c'est à cela même que Pierce va être confronté, lors de sa toute première mission en tant qu'agent fraîchement formé.

Un prémisse particulièrement alléchant, donc, puisque Stross traite ici d'un thème classique de la SF avec un twist intéressant et ouvrant de nombreuses possibilités. Mais passé cet enthousiasme du (tout) début, je me suis très vite ennuyé à la lecture de ce bouquin. Tout d'abord, parce que l'histoire est entrecoupée de descriptions très scientifiques sur la formation du système solaire, qui me sont passées complètement au dessus de la tête (et qui à vrai dire ne m'intéressent pas du tout). Heureusement celles-ci sont assez courtes, mais elles ont le défaut de casser le rythme d'un récit qui n'est déjà pas très facile à suivre à la base. C'est d'ailleurs un autre problème que j'ai eu face au bouquin : si les idées fusent et les différents concepts sont présentés avec une adresse indéniable, les descriptions plus terre à terre (notamment les scènes d'action) sont extrêmement brouillonnes et difficiles à suivre. Alors certes, ça n'est pas l'intérêt premier de l'histoire, mais ça m'a quand même dérangé. Pour finir ce réquisitoire accablant, j'ai trouvé les personnages assez creux et peu attachants. C'est d'autant plus dommage que les situations auxquelles ils sont confrontés auraient permis de creuser un peu ce côté là. Evidemment, en moins de 200 pages c'est difficile, et cette dimension passe du coup à peu la trappe. Tous ces éléments font qu'on a un récit certes rondement mené (considérant sa brièveté par rapport à son ambition, c'est même remarquable), mais qui m'a laissé absolument froid puisque je suis resté extérieur à l'histoire tout au long de ma lecture.

A réserver aux fans inconditionnels de Stross et/ou de hard SF à mon avis... En ce qui me concerne, c'est clairement pas ma came.

Coup de pied

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La critique (bien plus enthousiaste) d'Anudar

Le pouvoir des innocents, T1-5 - Luc Brunschwig et Laurent Hirn

lundi 1 août 2011
série BD complète parue entre 1992 et 2002 chez Delcourt

Je me suis fait avoir comme une vulgaire poiscaille. Ah, ils sont malins ces marketeux. Après m'avoir appâté avec le premier tome de Les enfants de Jessica, j'ai eu envie de découvrir la série originale. Alors évidemment, j'ai craqué. Et le pire, c'est que j'ai aimé ça. C'est partit pour la chronique d'un thriller politico-social de qualité.

Dans un New York de fin de millénaire où violence et corruption sont les maîtres mots, l'élection du prochain maire agite les foules. Mais derrière les caméras, une toute autre partie se joue, avec divers intérêts privés qui comptent bien s'arranger pour que leur champion termine la course en premier. Le maire sortant, un républicain corrompu, semble bien partit pour faire un second mandat. Mais ce serait oublier l'étoile montante, une certaine Jessica Ruppert. Celle-ci a consacré toute sa vie à venir en aide aux plus démunis, et les gens qui ont croisé son chemin ne sont pas prêt de l'oublier. Joshua, vétéran du Vietnam, va se retrouver un peu par hasard mêlé à des complots autour de cette élection, et c'est (principalement) à travers ses yeux que l'on va suivre l'histoire.

Vous vous en doutez, tout ça ne va pas être joli-joli. On est loin du hard boiled, mais le réalisme et le contraste avec les moments d'innocence et de bonté parsemés à travers l'histoire fait d'autant plus ressortir sa violence, tant physique que psychologique. Et pas toujours où on l'attend. Car mêmes les héros ont leur part sombre. Jusqu'où peut-on aller pour ses idées? Pour ceux qu'on aime? La fin justifie-t-elle les moyens? Autant de questions soulevées au cours du récit, et qui en font une lecture dérangeante. On aimerait pouvoir trancher, distinguer les méchants des gentils, mais comme dans la vie réelle, les choses sont souvent un peu plus compliquées.

J'ai trouvé le scénario très bien ficelé (avec quelques raccourcis ici ou là, mais rien de rédhibitoire). J'ai dévoré les cinq tomes sans m'arrêter et n'ai remarqué aucune longueur, ce qui n'était pas gagné d'avance étant donné la taille de l'oeuvre (5 x ~60 pages, tout de même) et le fait que je ne sois pas un grand amateur de thrillers en temps normal. Il y a pas mal de digressions sous la forme de flash-backs notamment mais au final ça apporte beaucoup à la narration et aide à construire des personnages intéressants et véritablement humains. L'histoire se tient bien à travers les cinq tomes, il n'y a rien de superflu ou d'éléments plaqués qui sembleraient avoir été rajoutés pour rallonger la sauce (si seulement on pouvait en dire autant de toutes les séries BD).

Côté graphique, rien d'exceptionnel. Le trait est classique voire un peu scolaire, mais au final sa sobriété et son réalisme colle assez bien à la narration. Quelque chose de trop original ou flashy l'aurait sans doute desservie. Pour la colorisation on voit bien qu'en 10 ans les techniques ont pas mal évoluées, et le premier tome fait un peu vieillot de ce côté là du coup, mais ça n'est pas particulièrement gênant pour la lecture.

Juste pour pinailler un petit peu, je dirais que sans tomber dans le sentimentalisme, la série n'échappe pas à quelques clichés. Et tant qu'on est dans les sujets qui fâchent, j'ai été un peu déçu par la fin, à la fois relativement prévisible et peu crédible àmha. Ces petits défauts font que je n'ai pas eu la claque que j'espérais, mais je ne suis pas déçu pour autant. Le pouvoir des innocents est un très bon thriller, avec une intrigue touffue et des personnages épais.

Une planche du premier et du dernier tome, pour se faire une idée

CITRIQ

Ainsi naissent les fantômes - Lisa Tuttle

dimanche 31 juillet 2011
Recueil de nouvelles publié en 2011 aux éditions Dystopia

Je n'ai pas trop eu l'occasion de poster récemment, la faute à des vacances sans connexion internet. Ca fait du bien de débrancher un peu de temps en temps. Par contre du coup j'ai eu plus de temps pour lire, et j'ai pris pas mal de retard dans mes chroniques. Voici donc un livre que j'ai terminé il y a déjà plusieurs semaines, mais qui m'a suffisamment plu pour que je m'en souvienne encore bien.

C'est le deuxième livre publié par les éditions Dystopia, après Bara Yogoï que je n'ai pas eu l'occasion de lire mais dont j'avais déjà entendu le plus grand bien. En même temps vu le copinage abondant dans le petit monde de l'édition SFFFF, il est souvent difficile d'avoir des avis objectifs sur ce genre d'ouvrages. C'est pourquoi j'ai généralement tendance à m'en tenir à l'écart, mais cette fois ci je me suis laissé tenter (la faute à Lhisbei, Gromovar et Efelle). Et grand bien m'en a pris!

On a là une sélection de six nouvelles de Lisa Tuttle (auteur américaine dont j'ignorais jusqu'au nom), choisies et traduites par Mélanie Fazi (dont j'avoue méconnaître aussi totalement l'oeuvre, décidément). Je ne sais pas si c'est dû à la sélection ou si toute l'oeuvre de Tuttle est centrée sur ces sujets, mais il y a clairement une cohérence de thèmes entre les différentes nouvelles. Sexe (ça devrait figurer en lettres capitales sur la couverture, parait que ça fait vendre), amour, grossesse (thématique centrale à deux des nouvelles) et maternité sont ici les maîtres mots. Pour autant, l'ouvrage n'a rien d'un pamphlet féministe ni ne cherche à toucher exclusivement un public féminin. La façon d'aborder ces thèmes les rend universels : il s'agit de confronter ses peurs et angoisses enfouies, ses "fantômes" personnels. Par moments, on se demande même si on est vraiment dans du fantastique "pur et dur" ou si on ne serait pas plutôt les témoins des hallucinations de la protagoniste principale et de la progression de sa folie. Cet espèce d'entre-deux nous plonge directement dans la tête des personnages et fait écho à nos propres obsessions et psychoses. Plutôt que de parler de chaque nouvelle séparément (et parce que j'avoue avoir un peu oublié celles qui m'ont le moins marquées), voici une sélection de mes préférées :

On commence fort avec Rêves captifs, qui relate l’expérience traumatique que constitue un enlèvement et une séquestration. J'ai trouvé le ton extrêmement juste (ce qui n'est pas évident quand on traite d'un sujet aussi sérieux et "chargé"), et l'histoire absolument glaçante.

Dans L'heure en plus, une mère de famille ne trouvant plus le temps d'écrire va voir apparaître une nouvelle pièce dans sa maison, à laquelle elle seule peut accéder. A l'intérieur de celle-ci, le temps semble s'écouler différemment, ce qui lui permet d'écrire à sa guise. Mais on ne peut pas vivre éternellement entre deux mondes, et elle va devoir faire un choix. Le final est troublant et laisse un petit goût d'amertume.

Ma pathologie est surement la nouvelle que j'ai préféré du recueil. Ca commence le plus simplement du monde, avec une rencontre entre deux amants et la grossesse de la protagoniste principale. Et puis on bascule dans l'horreur, mêlée d'hubris et d'amour irraisonné. Ce texte m'a arraché plus d'un frisson, je regrette juste qu'il se termine un peu abruptement.

Si les autres nouvelles m'ont moins marquées elles sont tout de même d'un bon niveau, puisque je ne me souviens pas m'être ennuyé une seule seconde à la lecture de ce recueil. Celui-ci se termine par une interview intéressante de Lisa Tuttle par Mélanie Fazzi. Un sans-faute, et une belle découverte donc. Ah et n'oublions pas la magnifique couverture que l'on doit à Stéphane Perger, jugez plutôt :

(cliquez pour élargir)

CITRIQ

Deus Ex

samedi 16 juillet 2011
Jeu PC développé par Ion Storm, sortit en 2000

Tiens pour une fois, je vais parler d'un jeu vidéo. Je n'ai malheureusement plus autant de temps à y consacrer qu'à une époque (d'ailleurs j'ai mis plusieurs mois à finir celui-ci), du coup je me concentre sur les grands classiques auxquels je n'ai pas encore joué. Et on fait difficilement plus culte que Deus Ex. En une dizaine d'années, il s'est établit comme la référence absolue de nombreux joueurs, et un porte-étendard pour tous ceux qui considèrent que le jeu vidéo peut être autre chose qu'un divertissement abrutissant.

Petit parfum de 1984

A première vue, Deus Ex c'est un shooter lambda : on pioche dans l'artillerie et on va botter les fesses des méchants. Avec cette idée en tête, je lance ma première partie. Un hélico me dépose sur des docks, à New York. Je jette un rapide coup d'oeil à ma mission, éliminer un groupe de terroristes ayant prit le contrôle de la statue de la Liberté. OK, pas très compliqué : je me lance. Cinq minutes plus tard, je me fait repérer, l'alarme est donnée et je me fait abattre comme un vulgaire pigeon. Bon, pas de bol. Je relance ma sauvegarde, c'est repartit. Même résultat. Là, je me demande si c'est moi qui suis vraiment un incapable ou si j'ai raté quelque chose. Cette fois, je prends le temps de réfléchir un minimum. J'examine la carte qui m'a été donnée. J'observe les mouvements de patrouille des gardes. Je réfléchis à la façon dont je vais infiltrer le complexe. Et là, je me rends compte que j'ai une pléthore d'options. Je peux essayer d'y rentrer de force, façon Scarface. Je peux tenter l'approche furtive, en m'efforçant de ne pas me faire repérer par les gardes. Je peux essayer de grimper sur les toits, en espérant qu'une porte là haut me permettra de pénétrer dans le bâtiment. Je peux payer une petite visite au QG de l'UNATCO, où j'y trouverais peut-être de l'équipement utile. Je peux aller faire un tour sur les quais au nord, où on m'a dit qu'un informateur pouvait me donner le code d'entrée de la porte principale. Et ça, c'est juste pour rentrer dans le bâtiment.

L'humour est également au rendez-vous

Vous l'aurez compris, dans Deus Ex, tout est question de choix. A chaque nouvelle situation à laquelle le jeu nous confronte, il nous oblige à nous poser deux minutes, observer, mettre sur pied un plan. Ou simplement se balader et à découvrir un environnement crédible, plein de possibilités. C'est le cas par exemple quand on débarque à Hong Kong. On est littéralement lâché dans cette ville, avec pour toute indication le nom d'un contact à retrouver. A nous de nous renseigner, interroger les locaux, séparer les informations utiles des rumeurs populaires, exploiter celles-ci à bon escient, rendre service à untel pour gagner sa confiance, etc. Les confrontations avec des NPC sont courantes, et les dialogues occupent une part importante dans le jeu. Là encore, la part belle est laissée à la décision du joueur. Quelle est la meilleure façon d’interroger ce témoin? Peut-on réellement faire confiance à ce représentant de l'Illuminati, même si nous partageons avec lui un ennemi commun? Les prises de décisions ont souvent d’importantes implications morales, qu'il nous faudra assumer par la suite. C'est ce que j'ai préféré dans ce jeu : il ne nous prend pas par la main, il ne nous met pas sur des rails. Il nous invite à faire attention aux détails, à réfléchir, et à interagir avec l'environnement. Et si on fait une erreur, il n'est pas là pour nous rattraper. On gagne ainsi en crédibilité, et donc en immersion. C'est la grande force du jeu. Paradoxalement, c'est aussi sa faiblesse. Car du coup on remarque d'autant plus la linéarité de l'intrigue (par ailleurs assez banale), sur le déroulement de laquelle on n'a pas réellement d'influence, sauf à la fin. C'est la seule critique que je puisse faire au jeu : on a parfois l'impression de se faire balader d'un endroit à un autre, sans toujours bien comprendre pourquoi, et sans avoir la possibilité d'en décider autrement. Non que ça soit pire que la plupart des autres jeux à ce niveau. Mais contrairement à ceux-ci, Deus Ex se situe dans une sorte de vallée dérangeante, dans la mesure où il est tellement crédible et immersif sur certains plans que l'on remarque d'autant plus ses (petits) défauts.

Gloups... c'est à moi que vous parlez, m'dame?

Quelques mots sur l'univers et sur l'intrigue. On est en plein cyberpunk, dans un univers dystopique tiraillé entre un gouvernement mondial qui abreuve la population de propagande, et des groupes de terroristes aux motivations obscures. On joue JC Denton, l'un des premiers humains modifiés de la tête aux pieds (littéralement) par la nanotechnologie. Travaillant au départ pour l'UNATCO, une agence antiterroriste internationale sous l'égide de l'ONU, on met rapidement à jour une conspiration mondiale, qui implique notamment le déploiement d'un virus mortel et la distribution contrôlée de son vaccin. Ca n'est pas dans son originalité qu'il faut chercher l'intérêt de l'univers ou de l'histoire, mais dans sa mise en scène. Tout ça est construit par petites touches, qui se complètent et s'assemblent pour former un tout cohérent. Certains personnages vont faire allusion à un évènement récent. Un journal que l'on va lire nous en apprendra plus sur le contexte politique qui a provoqué celui-ci. Un email sur un compte personnel que l'on va hacker nous révélera les coulisses de l'affaire, et les motivations réelles d'une des personnes impliquées dans celle-ci. Là encore, le jeu ne nous prend pas par la main : c'est à nous de recouper les différents éléments, et réfléchir à ce que tout cela signifie.

Petite discussion politique au détour d'une enquête

On remarquera que pour un FPS/RPG, Deus Ex est particulièrement bavard. Entre les dialogues, les journaux, les bouquins, les notes électroniques et les emails, on passe bien plus de temps à lire qu'à fracasser des crânes. On y trouve non seulement des éléments directement liés à l'univers, mais aussi des extraits de livres bien réels, qui entrent en résonance avec certaines situations du jeu. J'ai noté entre autre des références à The Man Who Was Thursday de Chesterton (que du coup j'ai envie de lire maintenant), Last and First Men de Stapledon (dito), Richard III de Shakespeare (s'il vous plait), Jack of Shadows de Zelazny, The Eye of Argon de Theis, ainsi qu'à des oeuvres de fiction fictionelles (elles mêmes contenues dans une fiction, une jolie mise en abîme). Finalement, et c'est aussi une des grandes sources de plaisir que j'ai eu à jouer à Deus Ex, il n'hésite pas à aborder plus ou moins directement de "grandes questions" et des thèmes récurrents de la SF, traités avec intelligence : la limite entre l'organique et l'informatique, le dépassement de l'intelligence humaine par l'IA, la possibilité d'une "dictature éclairée", etc. Il s'agit plus de pistes de réflexion qui sont esquissées que de véritables tentatives de réponses, mais rien que ça est suffisamment rare dans un jeu vidéo pour être souligné et salué.

L'IA, une nouvelle divinité? (cliquez pour élargir)

Alors évidemment, ça a prit un coup de vieux. La 3D a très mal vieilli, et les voix (même en VO) sont assez horribles. Mais si l'on arrive à passer outre ces éléments, on trouve dans Deus Ex un jeu à l'ambition inégalée. Tant au niveau du gameplay que sur la construction de l'univers et de la narration, c'est un jeu profond, intelligent et parfaitement maîtrisé. C'est maintenant avec une certaine appréhension teintée d'espoir que j'attends la sortie de Deus Ex Human Revolution.

Ralph Azham T1 : Est-ce qu'on ment aux gens qu'on aime? - Lewis Trondheim

mercredi 13 juillet 2011
album BD publié en 2011 chez Dupuis

J'ai du mal à croire que je n'ai pas encore parlé d'une BD de Trondheim sur ce blog. C'est pourtant un de mes auteurs préférés, co-créateur notamment de la génialissime série Donjon. Et de Donjon justement, Ralph Azham en a la couleur et le goût : même ambiance d'heroic-fantasy semi-parodique, même humour débilo-touchant, et un personnage principal un peu paumé qui n'est pas sans rappeler Herbert le canard. A tel point qu'on se demande pourquoi Trondheim lance cette nouvelle série en solo, plutôt que de refaire du Donjon (et alors qu'il a annoncé en parallèle qu'il allait en écrire au moins deux avec Sfar prochainement).

De quoi ça parle? Ralph Azham est le paria dans son village, qui le considère comme un bon à rien qui n'apporte que des emmerdes. Il faut dire que son pouvoir de deviner combien les femmes vont avoir d'enfants (et donc qui a perdu sa virginité ou qui fait cocu) n'aide pas... Comme tous ceux qui possèdent un don, il a été envoyé dans sa jeunesse à la capitale pour déterminer s'il était l'Elu qui pourrait sauver le royaume de La Horde. Mais en attendant, il est surtout enfermé dans l'enclos des cochons pour avoir écouté le conseil des sages et embrassé la jolie Claire.

Une lecture plutôt sympathique : l'humour est bien présent et fonctionne, l'intrigue sur le passé de Ralph et ses relations avec son père est rondement menée. Pas de quoi sauter au plafond pour autant : la série souffre de la comparaison inévitable avec Donjon, puisqu'elle est moins barrée, et les personnages ne sont pas particulièrement attachants. Côté graphique, on est en terrain connu : c'est du pur Trondheim, avec un trait simple et des personnages zoormorphiques. Les couleurs sont plus légères et diversifiées que d'habitude, ce qui donne un certain cachet à la série tout de même.

Au final, on a là un album correct mais sans grande surprise ni envergure. Ca vaut le coup d'oeil pour les fans de Trondheim comme moi, mais ça n'est clairement pas son oeuvre la plus marquante. Prochain album prévu pour la fin août, j'attends de voir ce que ça va donner.

La première page donne un bon aperçu du ton de l'album et de la palette de couleurs

CITRIQ

Le K - Dino Buzzati

dimanche 10 juillet 2011
Recueil de nouvelles initialement publié en 1966,  ici l'édition Pocket de 2004

J'avoue avoir abordé ce livre avec une certaine appréhension. Lors de ma première rencontre avec celui-ci, en classe de français, il m'avait beaucoup marqué et j'en gardais un bon souvenir, quoique assez vague. Mais certaines choses appartiennent au passé, et on est parfois déçu quand la redécouverte d'une oeuvre ne provoque pas en nous le même enthousiasme qu'à l'époque. C'est tout le contraire ici. Car non seulement je me suis régalé à la relecture de ce qui est à juste titre considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature fantastique, mais j'ai pu apprécier à leur juste valeur certaines nouvelles qui m'étaient un peu passées au dessus de la tête quand j'étais plus jeune.

Il faut dire que Buzzati cache bien son jeu. Toutes les nouvelles partent d'une situation quotidienne tout à fait banale, et les histoires sont racontées dans un style très simple, épuré, direct. Mais derrière cette simplicité qui n'est apparente, la plupart des nouvelles sont de vrais bijoux d'esprit et d'imagination. Plus d'une fois j'ai refermé le livre après la lecture d'une nouvelle, simplement pour la laisser décanter et réfléchir à ce que je venais de lire. Je conseillerais d'ailleurs à tout lecteur s'attaquant à l'oeuvre de prendre son temps. Avec pas moins de 50 (!) nouvelles, il ne faut surtout pas tout lire d'un coup, sinon on risque l'indigestion et de passer à côté de vraies petites pépites.

L'ensemble foisonne d'idées. On retrouve cependant certains thèmes qui apparaissent cher à l'auteur, tel que l'obsession de la mort et du temps qui passe, l'écriture, ou encore l'innocence de l'enfance. J'aime beaucoup le style et la façon de raconter les histoires de Buzzati, qui oscille entre la formule "classique" si j'ose dire du fantastique (situation familière dans laquelle va être introduite un élément surnaturel) et l'onirisme, voire l'absence totale d'élément fantastique. Difficile de ne pas faire le lien avec le réalisme magique, courant auquel on aurait sans doute rattaché Buzzati s'il était né sur un autre continent.

L'ensemble est évidemment inégal, et certaines nouvelles m'ont laissé indifférent. Mais la plupart sont très réussies, alternativement troublantes et touchantes, et quelques unes entrent même dans mon panthéon personnel, qui rassemble celles dont je me souviens longtemps après les avoir lues. En voici une petite sélection (attention, spoilers) :

Dans Le Défunt par Erreur, un petit peintre voit son avis de décès publié dans le journal. Après s'être plaint au rédacteur en chef, il décide finalement de continuer à se faire passer pour mort, car cela a pour effet de faire grimper les prix sur ses peintures. Mais il va rapidement finir par tomber dans l'oubli, ce qui revient à mourir, pour de vrai cette fois.

Avec L'arme secrète (une vraie nouvelle de SF, pour le coup), Buzzati prouve qu'il peut aussi faire dans l'humour cynique (assez peu présent dans le recueil par ailleurs). Le scénario tant redouté pendant la guerre froide a finit par avoir lieu, et les USA et l'URSS se balancent à la gueule l'arme secrète qu'ils ont tous les deux mis au point en parallèle. Celle-ci consiste en un gaz qui agit sur le cerveau et rallie sa victime à l'idéologie de ses adversaires. Les américains deviennent donc communistes, et les russes capitalistes. On change de costume, et la fête continue!

Dans Pauvre petit garçon!, Buzzati nous montre que nous sommes avant tout des êtres de culture, déterminés par nos environnements. Cette nouvelle m'a rappelé le récit uchronique de Schmitt La part de l'autre.

Chasseurs de vieux imagine une société où se serait développé un fascisme anti-vieux et où ceux-ci seraient férocement poursuivis et tabassés par des bandes de jeunes rappelant les droogs d'Orange mécanique. A la fin d'une longue poursuite nocturne, le chef de la bande a lui-même prit un coup de vieux, et se retrouve pourchassé par ses anciens camarades.

Dans Jeune fille qui tombe... tombe, on assiste à la chute d'une jeune fille du haut d'un grand immeuble. Le sol est si bas, elle a encore bien le temps de profiter de la vie, et puis la vue est si belle d'ici. Mais on finit toujours par se faire rattraper par le temps, à l'atterissage.


Coup de coeur

CITRIQ