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Jeu PC développé par Ion Storm, sortit en 2000 |
Tiens pour une fois, je vais parler d'un jeu vidéo. Je n'ai malheureusement plus autant de temps à y consacrer qu'à une époque (d'ailleurs j'ai mis plusieurs mois à finir celui-ci), du coup je me concentre sur les grands classiques auxquels je n'ai pas encore joué. Et on fait difficilement plus culte que Deus Ex. En une dizaine d'années, il s'est établit comme la référence absolue de nombreux joueurs, et un porte-étendard pour tous ceux qui considèrent que le jeu vidéo peut être autre chose qu'un divertissement abrutissant.
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Petit parfum de 1984 |
A première vue, Deus Ex c'est un shooter lambda : on pioche dans l'artillerie et on va botter les fesses des méchants. Avec cette idée en tête, je lance ma première partie. Un hélico me dépose sur des docks, à New York. Je jette un rapide coup d'oeil à ma mission, éliminer un groupe de terroristes ayant prit le contrôle de la statue de la Liberté. OK, pas très compliqué : je me lance. Cinq minutes plus tard, je me fait repérer, l'alarme est donnée et je me fait abattre comme un vulgaire pigeon. Bon, pas de bol. Je relance ma sauvegarde, c'est repartit. Même résultat. Là, je me demande si c'est moi qui suis vraiment un incapable ou si j'ai raté quelque chose. Cette fois, je prends le temps de réfléchir un minimum. J'examine la carte qui m'a été donnée. J'observe les mouvements de patrouille des gardes. Je réfléchis à la façon dont je vais infiltrer le complexe. Et là, je me rends compte que j'ai une pléthore d'options. Je peux essayer d'y rentrer de force, façon Scarface. Je peux tenter l'approche furtive, en m'efforçant de ne pas me faire repérer par les gardes. Je peux essayer de grimper sur les toits, en espérant qu'une porte là haut me permettra de pénétrer dans le bâtiment. Je peux payer une petite visite au QG de l'UNATCO, où j'y trouverais peut-être de l'équipement utile. Je peux aller faire un tour sur les quais au nord, où on m'a dit qu'un informateur pouvait me donner le code d'entrée de la porte principale. Et ça, c'est juste pour
rentrer dans le bâtiment.
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L'humour est également au rendez-vous |
Vous l'aurez compris, dans Deus Ex, tout est question de choix. A chaque nouvelle situation à laquelle le jeu nous confronte, il nous oblige à nous poser deux minutes, observer, mettre sur pied un plan. Ou simplement se balader et à découvrir un environnement crédible, plein de possibilités. C'est le cas par exemple quand on débarque à Hong Kong. On est littéralement lâché dans cette ville, avec pour toute indication le nom d'un contact à retrouver. A nous de nous renseigner, interroger les locaux, séparer les informations utiles des rumeurs populaires, exploiter celles-ci à bon escient, rendre service à untel pour gagner sa confiance, etc. Les confrontations avec des NPC sont courantes, et les dialogues occupent une part importante dans le jeu. Là encore, la part belle est laissée à la décision du joueur. Quelle est la meilleure façon d’interroger ce témoin? Peut-on réellement faire confiance à ce représentant de l'Illuminati, même si nous partageons avec lui un ennemi commun? Les prises de décisions ont souvent d’importantes implications morales, qu'il nous faudra assumer par la suite. C'est ce que j'ai préféré dans ce jeu : il ne nous prend pas par la main, il ne nous met pas sur des rails. Il nous invite à faire attention aux détails, à réfléchir, et à interagir avec l'environnement. Et si on fait une erreur, il n'est pas là pour nous rattraper. On gagne ainsi en crédibilité, et donc en immersion. C'est la grande force du jeu. Paradoxalement, c'est aussi sa faiblesse. Car du coup on remarque d'autant plus la linéarité de l'intrigue (par ailleurs assez banale), sur le déroulement de laquelle on n'a pas réellement d'influence, sauf à la fin. C'est la seule critique que je puisse faire au jeu : on a parfois l'impression de se faire balader d'un endroit à un autre, sans toujours bien comprendre pourquoi, et sans avoir la possibilité d'en décider autrement. Non que ça soit pire que la plupart des autres jeux à ce niveau. Mais contrairement à ceux-ci, Deus Ex se situe dans une sorte de
vallée dérangeante, dans la mesure où il est tellement crédible et immersif sur certains plans que l'on remarque d'autant plus ses (petits) défauts.
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Gloups... c'est à moi que vous parlez, m'dame? |
Quelques mots sur l'univers et sur l'intrigue. On est en plein cyberpunk, dans un univers dystopique tiraillé entre un gouvernement mondial qui abreuve la population de propagande, et des groupes de terroristes aux motivations obscures. On joue JC Denton, l'un des premiers humains modifiés de la tête aux pieds (littéralement) par la nanotechnologie. Travaillant au départ pour l'UNATCO, une agence antiterroriste internationale sous l'égide de l'ONU, on met rapidement à jour une conspiration mondiale, qui implique notamment le déploiement d'un virus mortel et la distribution contrôlée de son vaccin. Ca n'est pas dans son originalité qu'il faut chercher l'intérêt de l'univers ou de l'histoire, mais dans sa mise en scène. Tout ça est construit par petites touches, qui se complètent et s'assemblent pour former un tout cohérent. Certains personnages vont faire allusion à un évènement récent. Un journal que l'on va lire nous en apprendra plus sur le contexte politique qui a provoqué celui-ci. Un email sur un compte personnel que l'on va hacker nous révélera les coulisses de l'affaire, et les motivations réelles d'une des personnes impliquées dans celle-ci. Là encore, le jeu ne nous prend pas par la main : c'est à nous de recouper les différents éléments, et réfléchir à ce que tout cela signifie.
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Petite discussion politique au détour d'une enquête |
On remarquera que pour un
FPS/
RPG, Deus Ex est particulièrement bavard. Entre les dialogues, les journaux, les bouquins, les notes électroniques et les emails, on passe bien plus de temps à lire qu'à fracasser des crânes. On y trouve non seulement des éléments directement liés à l'univers, mais aussi des extraits de livres bien réels, qui entrent en résonance avec certaines situations du jeu. J'ai noté entre autre des références à The Man Who Was Thursday de Chesterton (que du coup j'ai envie de lire maintenant), Last and First Men de Stapledon (dito), Richard III de Shakespeare (s'il vous plait), Jack of Shadows de Zelazny, The Eye of Argon de Theis, ainsi qu'à des oeuvres de fiction fictionelles (elles mêmes contenues dans une fiction, une jolie mise en abîme). Finalement, et c'est aussi une des grandes sources de plaisir que j'ai eu à jouer à Deus Ex, il n'hésite pas à aborder plus ou moins directement de "grandes questions" et des thèmes récurrents de la SF, traités avec intelligence : la limite entre l'organique et l'informatique, le dépassement de l'intelligence humaine par l'IA, la possibilité d'une "dictature éclairée", etc. Il s'agit plus de pistes de réflexion qui sont esquissées que de véritables tentatives de réponses, mais rien que ça est suffisamment rare dans un jeu vidéo pour être souligné et salué.
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L'IA, une nouvelle divinité? (cliquez pour élargir) |
Alors évidemment, ça a prit un coup de vieux. La 3D a très mal vieilli, et les voix (même en VO) sont
assez horribles. Mais si l'on arrive à passer outre ces éléments, on trouve dans Deus Ex un jeu à l'ambition inégalée. Tant au niveau du gameplay que sur la construction de l'univers et de la narration, c'est un jeu profond, intelligent et parfaitement maîtrisé. C'est maintenant avec une certaine appréhension teintée d'espoir que j'attends la sortie de
Deus Ex Human Revolution.