Perdido Street Station - China Miéville

mercredi 24 août 2011
Roman publié en 2000 chez Tor (traduit en français sous le même titre)

Qui l'eu crût (lustucru) (ahem)? J'ai lu un roman de fantasy. Ça faisait longtemps, tiens. Et non seulement je l'ai lu, mais en plus j'ai beaucoup aimé. Comme quoi, il ne faut jamais dire "fontaine, je ne boirai pas de ton eau". Bon, c'est vrai, j'étais un peu en terrain connu, ayant déjà lu et apprécié The Scar et The City & The City du très recommandable China Miéville. Une nouvelle réussite, donc. Oui, mais... Aïe, il y a toujours un "mais". A vrai dire, quand j'ai refermé la dernière page du bouquin, j'étais excité comme une puce de mer. Je pensais tenir là une petite merveille, LE bouquin que j'attendais depuis des années. Et même si c'est un vrai coup de coeur, maintenant que j'y re-réfléchis à tête reposée, je me dis que le roman n'est pas exempt de (petits) défauts, les mêmes qui m'avaient déjà dérangés dans The Scar. Je crache dans la soupe SI JE VEUX, d'abord.

Mais d'abord, un mot sur l'univers. Pour une fois, je m'abstiendrai de parler de l'intrigue, celle-ci étant au final assez secondaire (et d'un intérêt limité, mais on y reviendra) à mes yeux. Le véritable intérêt du livre, et son personnage principal, c'est cette ville qui en est au coeur : New Crobuzon. Miéville nous plonge dans ses dédales, à la découverte d'un univers radicalement autre, décrit avec une puissance évocatrice et une cohérence qui nous le rend absolument fascinant. On se surprend alors à trembler devant les corps massifs et épineux des cactae, ces espèces d'hommes-cactus au caractère taciturne. On est pris de fascination devant les sculptures khepri, que ces femmes à tête de scarabée construisent à partir de sécrétions corporelles qu'elles colorent en ingérant diverses baies. On ressent un profond respect pour la froide dignité des garuda, ces oiseaux de proie humanoïdes venant du désert Cymek et vivant en tribus nomades coupées de toute civilisation. On est dégoûté par les transformations malsaines qui ont été faites sur les récréés, qui comme leur nom l'indique sont des criminels dont la punition a été imprimée dans leur chair, les transformant ainsi en bêtes de foire ou en outils vivants.


J'ai trouvé que New Crobuzon rappellait furieusement Sigil du JdR Planescape (les portails et les factions en moins, mais tellement d'autres bizarreries en plus). Ce mélange d'émerveillement et de désespoir crasseux à chaque coin de rue, cette esthétique à la croisée du steampunk et du médiéval avec une touche de baroque, ce melting-pot de différentes races qui cohabitent tant bien que mal (la plupart du temps dans leurs ghettos respectifs), cette ville-organisme qui fourmille de détails surprenants et fascinants. Ça me fait d'ailleurs penser que l'univers de Bas-Lag ferait un merveilleux cadre pour un JdR (Miéville, si tu m'entends!).


Pendant les premières 400 pages du bouquin (ce qui doit correspondre au premier volume de l'édition française il me semble), il ne se passe pour ainsi dire pas grand chose. Les recherches d'Isaac, le protagoniste principal qui essaye de trouver un moyen de refaire voler un garuda à qui on a arraché les ailes, patinent. Ça peut sembler bizarre, mais c'est la partie que j'ai préféré. En effet, cela fournit un bon prétexte pour confronter les personnages à diverses situations et nous faire visiter les différents quartiers de la ville. On ne se lasse pas de découvrir les merveilles (un peu) et les horreurs (surtout) de New Crobuzon, et on sent que Miéville (et nous avec) se régale dans ses descriptions, extrêmement détaillées. Quand il lance enfin l'intrigue à proprement parler, on a presque l'impression que c'est à regret, comme s'il se pliait à la contrainte qui a fournit le prétexte à cette exploration. Oh, on ne s'ennuie pas pour autant, puisqu'on continue dans la deuxième partie à faire des découvertes surprenantes, et la plume de Miéville est toute aussi habile pour décrire les scènes d'action. Simplement, c'est un peu plus convenu. Et comme à chaque fois dans les histoires de Miéville, la fin déçoit un petit peu, non pas parce qu'elle serait plus mauvaise (ni meilleure à vrai dire) qu'une autre, mais parce qu'on sait qu'elle signifie la fin du voyage. Et dans ses histoires, c'est toujours le chemin qui compte, bien plus que l'arrivée.


Malheureusement, tous les éléments ne sont pas à mon sens exploités à leur plein potentiel. La plupart le sont, mais certains sont simplement évoqués et survolés un peu trop rapidement. D'un côté, il est indéniable que cela participe au sentiment de foisonnement et de densité de l'univers : Miéville lance des idées, pique notre curiosité en suggérant que l'univers est bien plus large et complexe que ce qui pourrait être décrit dans l'espace limité de """seulement""" 900 pages. Et ça fonctionne largement. Sauf que de temps en temps, cela donne un sentiment d'artificialité, comme si cette fenêtre vers l’extérieur n'était qu'un trompe l'oeil et que Miéville essayait surtout de nous en mettre plein la vue, faire dans le bizarre juste pour paraître bizarre, sans que cela ne "serve" à grand chose.

PSS n'est pas un livre parfait. Mais merde, c'est un livre d'une imagination et d'une puissance évocatrice rare. Le genre de truc à mettre entre les mains de tous les fatigués des poncifs de la fantasy "à l'ancienne", et qui prouve qu'il est encore possible de renouveler le genre et de fasciner les lecteurs en faisant quelque chose de radicalement différent. Rien que pour ça, c'est une lecture qui vaut le coup.

Coup de coeur


Lu dans le cadre d'une lecture commune avec LhisbeiEfelle et Shaya (moi, en retard?)


Lu dans le cadre du défi Steampunk


CITRIQ
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8 commentaires:

Julien a dit…

Tu as lu Les Scarifiés avant Perdido Street Station ? Je ne sais pas si tu as le même avis que moi, après tout c'est toi qui les as lus dans cet ordre, mais pour moi, c'est une erreur, parce que Miéville présente les espèces dans PSS comme les cactae (qui ne peuvent d'ailleurs pas à mon avis être considérés comme des hommes-cactus, puisqu'ils n'ont rien d'humain) qui sont aussi présentes dans The Scar mais sur lesquelles Miéville ne passe pas autant de temps. Bon après The Scar est tout à fait lisible sans PSS, mais je conseille toujours de lire PSS avant, parce qu'il permet de découvrir l'univers en profondeur, et de comprendre les quelques références qui sont faites à PSS durant le roman.
Maintenant il te faut lire Le Concile de fer, moins bien que les deux ci-dessus à mon avis, mais pas mauvais non plus :)

Efelle a dit…

Une ville fascinante entre merveilleux et horrible...

Maëlig a dit…

Je n'ai pas ressenti ce problème avec les cactae (qui ont tout de même une morphologie globalement similaire à celle des humains), par contre je me souviens que j'avais mis un petit moment à bien comprendre le concept des recréés, qui n'est pas expliqué non plus au début de The Scar (mais qui se retrouve joliment exploré à travers Tanner Sack qui se ré-approprie son corps). Mais globalement je trouve que les deux romans sont assez indépendants, je n'ai pas trouvé ça vraiment gênant de le lire dans cet ordre.

Lhisbei a dit…

J'ai lié ton avis (que je ne partage pas) j'aime bien ta façon de nuancer le côté "chef d'oeuvre" du bouquin :)

Lorhkan a dit…

Bien sûr que la fantasy peut être de qualité ! Il ne faudrait pas appliquer à d'autres genres le même style d'a priori que ceux contre lesquels les fans de SF se sont longtemps battus (bon, ok, pour la bit-lit, on a le droit ! ;) )...

Maëlig a dit…

@Lhisbei Merci!

@Lorhkan Je sais bien, je taquine hein. ;)
En vrai j'aime bien la (bonne) fantasy, c'est juste que j'ai quelques mauvais souvenirs de lecture avec ce genre (mais ça aurait très bien pu être avec un autre).

GiZeus a dit…

Je fais partie de ceux qui n'ont pas apprécié. Je n'ai pas dépassé la 100ème page, en me forçant, en raison de ce que la plupart ont aimé, c'est à dire de la description de l'univers. Pour ma part j'ai trouvé abusif l'emploi de termes complexes, au point qu'on en trouve une dizaine par page (à ce moment là, je notais tout ce qui me passait sous la main pour chopper la définition). Donc j'ai pas réussi à m'immerger là-dedans mais je pense que j'aurais continué si le rythme avait été plus soutenu.

Maëlig a dit…

C'est sûr que c'est un style auquel il faut accrocher. Si tu veux tenter une autre expérience avec cet auteur je te conseille The City & The City, c'est plus court et l'histoire avance plus vite, tout en étant de nouveau situé dans un univers fascinant (mais très différent de PSS, hormis pour le côté urbain).

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