Don't take it personally, babe, it just ain't your story

lundi 11 avril 2011
Jeu vidéo créé par Christine Love mis en ligne le 04/04/2011


Parfois, il faut se forcer un petit peu. Sortir de sa zone de confort, essayer quelque chose de nouveau, être ouvert à changer d'avis sur un truc qui ne nous tape pourtant pas dans l'oeil à première vue. Trois fois sur quatre, ça confirme nos préjugés, et on se dit qu'on ne nous y reprendra pas (jusqu'au jour où on nous y reprend). Mais parfois, on a une bonne surprise, et on tombe sur une perle. Il faut dire que Don't take it personally, babe, it just ain't your story (DTIPBIJAYS hum non finalement je ne vais peut-être pas utiliser l'acronyme) avait tout pour ne pas me plaire : une visual novel sauce anime où l'on joue un prof de lycée voyeur qui se retrouve mêlé aux amourettes de ses élèves. Ouais, hein? A peu près le concentré de tout ce que je déteste. Mais c'est écrit par la talentueuse Christine Love, auteure du superbe Digital Love, qui racontait une histoire d'amour touchante au temps du début d'internet et qui était un de mes gros coups de coeur vidéoludiques de l'année dernière (ça me donne envie d'y rejouer d'ailleurs, et ça sera l’occasion d'écrire un billet dessus). Alors bon, je ne pouvais décemment pas ne pas au moins lui donner sa chance.


On suit ici la vie de Rook, un semi-looser trentenaire qui est devenu prof de littérature anglaise suite à une "midlife crisis" et débarque dans un nouveau lycée. On va très vite rencontrer les sept élèves de sa petite classe, un bel éventail d'ados joliment croqués. Ca, c'est pour l'histoire "principale", la partie émergée de l'iceberg. Mais le plus intéressant, et là où la narration innove, se trouve dans les conversations qu'ont les élèves sur le réseau social AmieConnect, un ersatz de Facebook. Par un quelconque truchement technologique (assez peu crédible en fait, mais là n'est pas le sujet), l'école a réussi à avoir un accès libre à toutes les conversations, aussi bien sur les "walls" que les échanges strictement privés. Le directeur de l'établissement nous encourage d'ailleurs à nous y rendre, arguant que cela nous aidera à mieux comprendre nos élèves et ainsi à gérer plus facilement les situations difficiles. Du coup au cours du jeu, on reçoit régulièrement des notifications de nouveaux messages (ne nous étant pas destinés), que l'on peut lire et relire à n'importe quel moment. Ceux-ci vont effectivement nous aider à mieux cerner la personnalité et la vie de chacun des élèves, un peu à la façon d'une enquête où l'on récolterait des indices.



Ici, la mécanique du jeu nous encourage (ou nous force, si on est réticent au départ) au voyeurisme. C'est ce que l'on est censé faire pour progresser, donc on le fait sans réfléchir. Quand on joue à mario, on ne se demande pas pourquoi on doit toujours avancer vers la droite, c'est la mécanique du jeu, on l'accepte et on se concentre exclusivement sur les obstacles que l'on rencontre. Sauf que comme le titre l'indique, l'histoire qui est racontée n'est pas la notre, et le jeu nous le rappelle régulièrement en ne nous offrant que peu d'opportunités d’interaction et en cassant carrément le quatrième mur à plusieurs reprises. Et là, on se sent mal à l'aise. Parce qu'on se rend compte que le voyeur c'est nous, pas (seulement) le personnage. Il y a un passage en particulier, où on a la possibilité de voir des photos à caractère pornographique d'une des élèves. Sauf que celles-ci sont protégées par un mot de passe, et frustration ultime, impossible de trouver celui-ci dans le jeu. Alors en bon pervers que je suis, ni une ni deux je vais sur internet pour trouver le mot de passe en question (ce qui n'est pas bien difficile, l'auteure nous facilitant même la tâche). Après avoir vu la photo, je me rend compte que le personnage, Rook, n'est pas censé l'avoir vu, lui. Et du coup je ne peux plus me retrancher derrière la barrière du rôle que je serais en train de jouer. Dérangeant, et joliment amené.

Deux (tout) petits bémols, qui sans nuire réellement à l’expérience globale m'ont agacés.
A certains moments on nous oblige à lire nos messages, sans quoi on ne peut pas continuer. Ca fait ressortir l'artificialité du script et c'est particulièrement frustrant quand on a l'illusion du choix. Pire, on est parfois contraints à aller visiter le site "12chan" (je suis sûr que vous trouverez la référence tout seul comme des grands). La parodie est plutôt bien vue, mais à moins d'être un gros geek et/ou un otaku, ça vous passe au dessus de la tête (d'ailleurs le jeu est plein de clins d'oeil et de références là dessus, mais la plupart sont assez compréhensibles), et puis ça coupe le rythme puisque ça n'a absolument rien à voir avec le reste de l'(les) histoire(s). L'idée est amusante, mais l'accès aurait dû rester facultatif à mon avis (bon après, rien ne vous empêche d'ouvrir la page et de la refermer direct pour continuer l'histoire hein).


D'autres scènes mettent particulièrement mal à l'aise, comme lorsque l'on doit réagir aux avances faites par une de nos élèves. Dans l'ensemble, le jeu est vraiment riche en émotion, le traitement étant toujours très juste et crédible. Ca m'a d'ailleurs rappelé Fucking Åmål (un film à voir de toute urgence si ce n'est déjà fait), à la fois pour les thèmes abordés (crise de l'adolescence, découverte de son homosexualité) et pour cette justesse du ton. Le jeu amène aussi à la réflexion sur les concepts d'intimité et de vie privée, avec une fin dont je ne dirai rien sinon qu'elle est surprenante mais plutôt satisfaisante. Christine Love a décidément un sacré talent pour écrire des histoires interactives, je surveillerai de très près ce qu'elle fera par la suite.

Ca se télécharge gratuitement ici, et vous en aurez en tout pour une bonne heure (voir un peu plus). Bon par contre, je ne sais pas si ça vaut la peine de préciser, même ça demande quand même une certaine familiarité avec la langue de Shakespeare.


Coup de coeur

3 commentaires:

FatMat a dit…

Amusant, décidément, nos intérêts se croisent en ce moment ! C'est la deuxième fois que je retombe sur ce site en quelques jours ! J'ai été extrêmement déçu par ce jeu. Autant Digital était génial de par la situation : être devant l'ordinateur avec toute l'action qui se passait là, autant ici il ne reste que les grosses ficelles. Du texte, pas très intéressant, des clics. Et quasiment aucun choix significatif !

Pierrec a dit…

Comme je l'ai dit sur l'oujevipo, je n'ai pas encore testé Digital. Mais je pense néanmoins qu'une faible interactivité peut véhiculer autant de messages qu'une forte interactivité, ce ne sont seulement pas les mêmes. Les choix de This is not...ne sont pas significatifs dans le jeu, mais ils le sont pour le joueur, du moins l'ont été pour moi. C'est l'écriture de son avatar. C'est un peu comme choisir le nom de son personnage au début d'un RPG, cela n'a aucune incidence sur le jeu, mais peut en avoir sur notre expérience personnelle. On ne joue pas de la même manière avec son pseudo, le nom de son chat, ou celui de son pire ennemi.

Sinon Maelig, je m'en vais écouter a Tribe called quest après tes recommandations. Je cherchais justement un bon son hip hop à me mettre sous le pavillon.

Maëlig a dit…

@FatMat effectivement, monsieur a bon goût. ;)
Le truc c'est qu'il ne faut pas forcément le voir comme un jeu. C'est comme Osada d'ailleurs, on clique pour dérouler l'histoire, c'est à peu près tout. C'est une mise en abyme intéressante : on espionne la vie de Rook, qui lui-même espionne celle de ses élèves.

@Pierrec oui je suis d'accord avec toi, d'ailleurs je trouve ça très intéressant quand un jeu utilise les limites propres au média dans sa narration ou pour faire passer un message.
ATCQ c'est le début du jazz-rap, àmha ce qui se fait de mieux en hip-hop ricain (à mille lieux de l'image gangsta rap qui lui colle trop souvent à la peau).

Je connais encore assez mal la blogosphère francophone de jeux vidéo, c'est chouette, je découvre. :)

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