Frankenstein or The Modern Prometheus - Mary Shelley

jeudi 21 avril 2011
Roman publié originellement en 1818, ici  l'édition Penguin Classics de 2003


Figurez-vous que je n'avais toujours pas lu ce grand classique de la littérature gothique et fantastique. Il était grand temps de rattraper cette erreur, alors j'ai retroussé mes manches et je me suis attelé à cette lecture qui s'est révélée passionnante. Car si une chose ressort avant tout de ce roman, c'est qu'il n'a pas pris une ride, malgré les presque 200 ans qui nous séparent de sa rédaction. Oh certes, l'écriture a vieilli. Comme avec la plupart des livres du XIXè, c'est très romancé et on peut être dérouté par le fait que les personnages réagissent tous avec énormément d'emphase et de grandiloquence pour exprimer la moindre de leur pensée ou de leur émotion. Alors évidemment, ça demande un petit effort d'adaptation supplémentaire, mais on passe outre très rapidement et facilement. Car la puissance du récit reste intacte, et certains passages (je pense notamment aux monologues de la créature) sont absolument bouleversants.

Pas de grosse surprise sur l'histoire évidemment, le livre étant victime de son succès. Tout le monde la connait à peu près, les thématiques abordées ayant été reprises dans de nombreuses oeuvres, que ce soit les adaptations directes (plus ou moins fidèles) ou celles se revendiquant de l'héritage de la sainte mère du fantastique. Rappelons tout de même rapidement la trame de l'histoire, pour les martiens qui viendraient de débarquer sur terre. Le brillant Victor Frankenstein, passionné par l'ambition des sciences anciennes et doué d'une intelligence et d'une soif d'apprendre hors du commun, découvre le moyen de créer la vie. Il met cette découverte en pratique en créant une créature qui va très rapidement lui échapper. S'ensuit alors une espèce de course poursuite qui va s'étaler sur tout le roman, Frankenstein cherchant au départ à retrouver sa créature, puis à lui échapper et à l'oublier, pour enfin essayer de la rejoindre à nouveau dans le but de mettre une fin définitive à ses crimes. Et la créature, qui au départ va chercher à apprendre la vie en espérant pouvoir s'intégrer à la société humaine, va très vite se rendre compte que celle-ci n'a que dégoût et rejet pour elle. Elle va alors retrouver Frankenstein pour lui demander une faveur un peu particulière, et quand son créateur lui refusera celle-ci, elle n'aura de cesse de le poursuivre pour assouvir son désir de vengeance, les condamnant tous deux à des existences misérables.

Si l'histoire m'était déjà relativement familière, cette lecture m'a fait prendre conscience du nombre de clichés et d'idées reçues qu'on peut avoir au sujet de cette oeuvre passée dans la culture populaire, et de l'importance de revenir à la source pour se rendre compte que ceux-ci trahissent bien souvent l'oeuvre d'origine. Quelques exemples qui m'ont particulièrement marqués :
C'est par assimilation à son créateur que la créature est généralement nommée Frankenstein, puisqu'il s'agit bien là du nom du scientifique (et de sa famille). Dans le roman, elle est juste appelée "la créature" ou "le monstre". On la prive ainsi d'une des caractéristiques les plus élémentaires de l'identité humaine, ce qui va bien sûr avoir son importance dans l'histoire.
La "construction" de la créature ne prend qu'une place marginale dans le roman : elle est expédiée en quelques pages assez tôt dans le récit, très simplement et sans grandiloquence. On est bien loin de l'image du fossoyeur qui profite de la nuit pour aller au cimetière déterrer des cadavres, ou du savant fou et machiavélique qui assemble différents membres à la lumière blafarde de son laboratoire bordélique. Car là n'est évidemment pas l'intérêt du récit.
D'ailleurs, l'histoire est autant à propos de la créature que de son créateur. Quand on parle de cette oeuvre, on pense le plus souvent (et à juste titre) du tourment de la créature, rejetée par la société à cause de son apparence physique, alors que ses intentions sont amicales et qu'elle est véritablement curieuse de découvrir les hommes et d'apprendre à vivre avec eux. Ce questionnement sur la différence, sur le rejet de l'autre est effectivement un des thèmes centraux du livre. Mais on a souvent tendance à oublier l'importance du tourment du créateur, rongé par le remord et écrasé par la culpabilité d'avoir mis au monde un monstre, son déchirement quand il se rend compte que sa création lui échappe et commet d'horribles crimes, et sa solitude quand il réalise qu'il ne peut partager sa douleur avec quiconque, puisque personne ne croira son histoire. Au tourment de la créature répond celui de son créateur : deux âmes-en-peine, au destin inexorablement lié, condamnées au malheur et au désespoir.

Cette dernière dimension m'a tout autant marquée que la thématique (plus connue et d'une certaine façon plus classique, le livre ayant fait des émules) du monstre créé par le regard de celui qui le considère comme tel. Si le livre est une adaptation du mythe de Prométhée (comme le suggère le titre), je l'ai aussi vu comme une relecture de celui d'Icare : à vouloir se prendre pour dieu (en créant la vie), l'homme provoque sa propre chute.

L'édition Penguin Classics est intéressante en ce qu'elle apporte tout le contexte nécessaire pour bien resituer l'oeuvre : une chronologie de la vie de Mary Shelley (difficile de croire qu'elle n'avait que 19 ans à l'écriture de Frankenstein!), une introduction de l'éditeur, une bibilographie indicative d'ouvrages traitant de Frankenstein, et une brève explication sur les différentes éditions du livre. Comme d'habitude pour ce genre de commentaires, je conseillerais de ne les lire qu'après avoir découvert le texte. On trouve aussi en annexe une liste exhaustive de toutes les modifications entre l'édition de 1818 et celle de 1831 (peu d'intérêt à mon avis), ainsi qu'un fragment de texte de Lord Byron écrit par celui-ci dans le cadre d'un défi qu'il s'était fixé avec Percy Shelley et sa femme Mary Shelley (c'est là que lui vint l'idée de Frankenstein), et qui inspira la nouvelle Vampyre de John William Polidori (qui elle-même inspirera plus tard Bram Stoker pour son Dracula), également en annexe.

Une lecture poignante donc, et un grand classique qui reste tout à fait accessible et intéressant.

CITRIQ

1 commentaires:

Gromovar a dit…

Superbe roman. J'en ai une très vieille édition qui ressemble à un grimoire. Je l'adore.

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